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31 janv. 2018
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André Marcon (CCI France) : "Un centre-ville doit se gérer comme un centre commercial"

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31 janv. 2018

A l’occasion du salon Who’s Next de janvier 2018, la Fédération nationale de l’habillement a tenu une conférence sur la revitalisation commerciale des centres-villes, en présence de nombreux représentants et professionnels du secteur. Président de la fédération, Bernard Morvan est l’un des six missionnaires désignés par le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, pour formuler les propositions sur le sujet. Président de 2011 à 2017 de CCI France, l'entité qui fédère les chambres de commerce du territoire dont il est aujourd'hui président d’honneur, André Marcon, qui dirige cette mission, confie à FashionNetwork.com sa perception des échanges en cours.


André Marcon - Matthieu Guinebault/FNW


FashionNetwork.com : Sur quoi repose, selon vous, l’orientation à prendre pour redynamiser les centres-villes ?

André Marcon : Les centres-villes ont pour moi de l’avenir. Preuve en est que les grands groupes souhaitent y revenir. On l’a vu sur Paris, où tout est allé très vite dès qu’ils ont décidé de s’y réimplanter. Les cœurs de ville ne sont pas condamnés ; simplement il faut qu’ils se réinventent. Le commerce, qui est foncièrement indépendant, doit être beaucoup plus coopératif et collectif. Cela passe par une véritable stratégie de la collectivité. Il faut que nos élus s’approprient l’idée que le centre-ville est un élément d’attraction central pour leurs territoires. Et, à partir de là, qu’ils se mettent en état de peser sur l’aménagement. On connaît les grandes politiques d’aménagement du territoire : elles se sont toutes faites parce qu’il y a des personnes qui ont réfléchi à 10-20 ans. Il faut aujourd’hui penser à long terme l’aménagement de son centre-ville. Et pour cela, il faut travailler avec les acteurs de terrain, dont les commerçants, les propriétaires fonciers, et tous les acteurs de la mobilité, du numérique …Tout le monde doit participer à l’écriture de cette véritable stratégie.

FNW : Que faut-il pour mener cette stratégie à terme ?

AM : Il faut une gouvernance. Un centre-ville doit se gérer à la façon d’un centre commercial. Avec un patron qui ne pourra être que l’élu, ce qui implique naturellement qu’il soit formé. Avec des managers de centres-villes dont il faut augmenter la compétence sur des sujets qui ne relevaient pas jusque-là de leur périmètre, comme la mobilité, l’habitat ou l’événementiel. Il faut également des commerçants qui s’engagent dans une charte, y compris sur la question d’ouvertures possibles le soir et le dimanche. Ce n’est pas aussi simple à dire qu’à faire. Mais, ceci dit, il existe quelque chose qui s’appelle les groupements d’employeurs. On peut travailler dans cette direction, car l’important n’est pas de gérer la boutique, mais de la tenir durant un certain nombre d’heures. Et tout cela passera par du collectif et du collaboratif, qui ne sont pas dans la culture française, mais sont sûrement la seule solution pour demain.

FNW : Le débat retombe souvent sur l’opposition ente centre-ville et périphérie. A raison, selon vous ?

AM : Il n’y a pas d’opposition entre les deux, sauf celle qui se fait dans la tête des élus qui sont restés, comme les Gaulois, très individualistes. Vous avez le maire de la commune principale et les maires des communes périphériques. Chacun se dit : « La grande surface va créer 200 emplois chez moi : je prends ! ». Le tout sans regarder ce qu’il se passe derrière, à l’échelle du territoire. C’est pour cela qu’il faut retrouver une responsabilité des élus, les mettre en face des réalités, car c’est ensemble qu’ils doivent décider.

Comme je suis un élu et un partisan de l’intercommunalité, je pense que ce sont des sujets sur lesquels, à partir d’une analyse objective de son territoire, on arrivera très naturellement à se dire qu’il faut arrêter d’implanter des surfaces commerciales en périphérie dans certains cas et, au contraire, qu’il en faut plus dans d’autres endroits. Il faut s’adapter à chaque territoire. On peut avoir des périphéries qui fonctionnent bien, et la question est alors de savoir comment on la relie rapidement au centre-ville, afin de permettre au client de faire les deux de manière complémentaire.

Je pense notamment au shopping du samedi, où l’on veut voir ce qu’il y a en grande surface, mais où l’on prend aussi plaisir à venir déjeuner dans les rues marchandes du centre-ville et y faire quelques boutiques. C’est pour cela qu’il ne faut pas opposer les deux. Et, par rapport aux grands réseaux, il est tout de même frappant de voir dans toutes ces villes moyennes systématiquement les mêmes enseignes. A quoi bon, alors, aller dans une ville plutôt qu’une autre ? Le centre-ville est un endroit pour des produits locaux, avec une valorisation des savoir-faire régionaux, et un lieu de vie important pour les clients.

FNW : Quelle place peut jouer Internet ?

AM : Je considère personnellement Internet comme une chance fantastique pour le commerce de proximité. L'ADN du commerçant local est de comprendre et de conseiller le client. Seulement, jusqu’à présent, il était contraint de se limiter à proposer ce qu’il avait en stock. Maintenant, il n’y a plus cette limite : le commerçant peut comprendre, conseiller, chercher un produit qui convienne sur la Toile, et lui garantir la livraison, le retour et un service après-vente.

Le fait est qu’on entre dans une société de services où tout cela se paie. Le commerçant local devient le réfèrent de son client. Dans le domaine du textile, nombreux sont ceux qui reculent au moment d’acheter en ligne un pantalon, une veste ou un costume. Car le retour reste un frein, une inquiétude. Alors que si vous pouvez aller voir un commerçant pour lui expliquer ce que vous recherchez et dans quel prix, ce dernier devient votre expert. Avec la multiplication de sites et pages, rechercher le bon produit au bon prix est une expertise. Je tiens beaucoup à la notion de "tiers de confiance". C’est quelqu’un qui est à même d’expertiser les produits avec une précision que les particuliers, dans leur très grande majorité, ne peuvent pas avoir.

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