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23 déc. 2019
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2020 sera-t-elle l'année Bernard Arnault ?

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23 déc. 2019

Bernard Arnault a probablement savouré ce moment, si fugace fut-il. Le 16 décembre dernier, le président du groupe de luxe français LVMH devenait l'homme le plus riche du monde. Les actions de son groupe, coté à la Bourse de Paris, atteignaient 458,46 dollars (environ 411 euros), le faisant passer en tête du classement devant Jeff Bezos. Mais quelques heures plus tard, à la clôture de la Bourse de New York, le patron d'Amazon avait repris la main avec une fortune estimée à 110,1 milliards de dollars (99,9 milliards d'euros) contre 109,3 milliards (98,37 milliards de d'euros) pour Bernard Arnault, comme l'a indiqué le média économique Forbes. Bill Gates occupant la troisième place avec 107,8 milliards de dollars (97,02 milliards d'euros).


Bernard Arnault - © E. Piermont / AFP


Bien sûr ces hommes d’affaires ont d’autres capitaux que leur participation dans leurs entreprises phares, mais l’évolution du cours de Bourse de celles-ci reste un indicateur majeur. Et bien que temporaire, cette accession de Bernard Arnault au pinacle de la prospérité individuelle est notamment due au récent rachat par LVMH du joaillier américain Tiffany. Une acquisition majeure qui pourrait bien permettre au Français de devenir l'homme le plus riche du monde en 2020.

Le 25 novembre dernier, le groupe LVMH officialisait le rachat de Tiffany pour la somme de 16,2 milliards de dollars (environ 14,7 milliards d'euros). Un rachat qui demeure à ce jour la plus grosse opération financière de l'histoire de ce mastodonte du luxe. Depuis l'annonce de cet accord, qui vient fortement renforcer le pôle "Montres et Joaillerie" du groupe, les actions de LVMH ont bondi de plus de 4 %. D'après les estimations des experts financiers, ce rachat historique pourrait ainsi permettre à Bernard Arnault de prendre sous peu la tête du classement des plus grandes fortunes du monde. Avec un chiffre d'affaires estimé à 4,442 milliards de dollars (4,034 milliards d'euros) pour son exercice 2018, et un résultat net de 586,4 millions de dollars (532 millions d'euros), le premier joaillier du monde qu'est Tiffany pourrait bien permettre à Bernard Arnault de rattraper les millions qui le séparent de Jeff Bezos. Un affrontement d’autant plus symbolique qu’il s’inscrit également dans une opposition entre les savoir-faire historiques du luxe et l’exploration des territoires digitaux.

Amazon des progressions fortes… qui ralentissent


 
Le magnat de Seattle est à la tête d’un groupe qui cible entre 80 et 86 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour son dernier trimestre 2019 et devrait donc atteindre entre 283 et 289 milliards de dollars sur l’ensemble de l’exercice. Au troisième trimestre, ses ventes ont progressé de 24 % pour atteindre 70 milliards de dollars. Et le groupe peut toujours s’appuyer sur les activités de services en « cloud » d’Amazon et des différentes fonctionnalités développées par sa branche Amazon Web Services (AWS). Celle-ci a longtemps permis la rentabilité de l’entreprise et apporte encore 13 % de son chiffre d’affaires et 71 % de son résultat opérationnel lors de son troisième trimestre 2019. Pour autant l’horizon n’est pas forcément totalement dégagé pour le patron d’Amazon.

L'année 2019 fut compliquée pour Jeff Bezos. D'abord embourbé dans un divorce compliqué qui lui a coûté la modique somme de 38 milliards de dollars (34,25 milliards d'euros), le patron d'Amazon voit son modèle de distribution, incontournable sur le marché américain, de plus en plus décrié. En témoignent les récentes attaques et protestations en marge du Black Friday pratiqué par le géant américain fin novembre dernier. Amazon incarne de plus en plus le symbole réunissant tous les aspects négatifs de la vente en ligne.


Le patron d'Amazon, Jeff Bezos, le 19 juin 2019 - REUTERS/Katherine Taylor


Le groupe est ainsi régulièrement sévèrement critiqué pour son impact environnemental et social négatif, son incitation à la surconsommation, et pour son manque général de transparence. Ces critiques venues de la société civile, prennent un nouveau ton depuis quelques mois. Aux États-Unis, plusieurs candidats à l’intronisation démocrate pour les prochaines élections présidentielles de 2020 creusent ce sillon. Et Amazon fait face en France à l’instauration de la taxe Gafa qui vient ponctionner les activités des géants du numérique. Une mesure adoptée en juillet dernier à laquelle Amazon a répondu en répercutant cette taxe sur les produits des commerçants français vendus sur la plateforme. Les 3 % de cette taxe viennent donc s'ajouter à la marge de 15 % déjà appliquée par Amazon, atteignant ainsi une moyenne de 15,45 % de marge octroyée par le géant américain. Une répercussion directe pour les consommateurs qui voient ainsi une augmentation des prix pratiqués par Amazon. De quoi effrayer certains clients ? Peut-être.

Et là où le sujet se complexifie pour Amazon c’est que l’approche française, si elle ne sera pas pour l’heure globale, pourrait prochainement se déployer au niveau européen sous la houlette de la nouvelle Commission européenne, avec notamment Thierry Breton, le commissaire européen au Marché unique et au Numérique. Une taxe qui pose forcément question au sein du géant de Seattle, qui a par ailleurs dû fermer sa plateforme chinoise l’été dernier et dont les activités internationales de sa place de marché ne sont toujours pas rentables.
Amazon fait aussi face à d’autres défis : le développement de son offre Prime, avec la livraison dans la journée, lui coûte très cher et grève actuellement sa rentabilité ; la concurrence internationale se déploie sur les offres de services et en tant que leader le groupe est attaqué; les législations et leurs évolutions dans différents pays restent un challenge concernant le déploiement de ses assistants vocaux, et le développement de son offre de télévision à la demande se situe sur un marché très concurrentiel.

Autant d’interrogations sur les investissements du groupe qui n’effraient toutefois pas les analystes. Selon le consensus d’analystes financiers réalisé par CNN Business, réunissant 44 analyses, Amazon reste une valeur sûre et son action devrait progresser de 1 786 dollars le 20 décembre à 2 180 dollars à fin 2020.

LVMH fait aussi partie des valeurs fortes et de long terme pour les analystes. Selon un consensus fourni par le site Walletinvestor, le cours de l’action LVMH, qui a bondi de près de 59 % depuis le début de l’année, pourrait passer de 413 euros au 23 décembre 2019 à 477 euros fin 2020. Une croissance qui serait toutefois moins importante que celle de l'action d'Amazon.
 

Interrogation autour des relations internationales



Quoi qu'il en soit, la course à la première place du classement en 2020 risque d'être particulièrement intéressante. Car en regardant de plus près, au-delà de l'acquisition de Tiffany, LVMH pourra également compter sur la diversité de son portefeuille de marques. Celui-ci permet au géant français de jouer sur plusieurs tableaux à la fois. Bernard Arnault, qui possède 47,16 % des parts actives de LVMH, dispose en effet de plusieurs marchés dynamiques au sein même du groupe qui a engrangé un chiffre d'affaires de 46,8 milliards d'euros en 2018.


L'escalier monumental sous la verrière de la future Samaritaine - La Samaritaine


Bien sûr, les relations internationales vont poser question sur la performance de LVMH en 2020. La situation à Hong Kong et ses répercussions sur les équilibres commerciaux du marché du luxe en Asie seront scrutées. La consommation de luxe des riches chinois sera par ailleurs un enjeu majeur, ceux-ci pesant pour plus d’un tiers des achats de produits de luxe dans le monde.

Les réactions des États-Unis face à la mise en place de la taxe Gafa française restent aussi une interrogation. Donald Trump, que l’on a pourtant vu aux côtés de Bernard Arnault lors de l’inauguration d’un atelier Louis Vuitton au Texas, a ciblé les champagnes et les sacs français comme des produits d’importation sur lesquels faire pression. Une montée des tensions franco-américaine pourrait ainsi avoir une incidence directe sur l’activité des géants du luxe français.

Malgré ces écueils, LVMH dispose de joyaux pour offrir la couronne à Bernard Arnault. Sa catégorie "Mode & Maroquinerie" reste le point fort du groupe de luxe avec des marques leaders comme Louis Vuitton, Dior, Givenchy ou encore Fendi. Cette catégorie participait à hauteur de 39 % du chiffre d'affaires du groupe en 2018. La "Distribution sélective" dans laquelle se trouvent des réseaux comme Le Bon Marché, Sephora et DFS est solide et accueillera prochainement La Samaritaine dont l'ouverture est prévue en avril 2020 à Paris.

La catégorie "Vins & Spiritueux" qui inclut des marques comme Hennesy, Ruinart ou encore Veuve Clicquot, représentait quant à elle 11 % du chiffre d'affaires du groupe de luxe pour son exercice 2018. Reste également les "Parfums et Cosmétiques" (13 % du chiffre d'affaires en 2018), ainsi que les "Montres & Joaillerie" (9 %). Un pôle qui devrait être fortement renforcé en 2020 avec la finalisation de l’acquisition de Tiffany. Et le groupe s’est aussi armé il y a un an pour se diversifier en entrant dans le secteur de l’hôtellerie de luxe via le rachat du groupe Belmond et son parc d’hôtels, de voyages et croisières haut de gamme dans le monde entier.


AFP



Surtout LVMH opère judicieusement entre croissances externes et projets intégrés. Et c’est bien là que réside aussi le potentiel d’évolution des ventes et de la profitabilité.

Avec les premières collections de Fenty en collaboration avec l'artiste Rihanna (suite au succès fulgurant de Fenty Beauty avec Sephora), la relance de la maison Patou, le succès de Kim Jones chez Dior et de Virgil Abloh chez Louis Vuitton, la nouvelle approche de Marc Jacobs avec la ligne bis The Marc Jacobs proposée dans les réseaux de grands magasins, l'élargissement de l'offre chez Celine, 2019 aura été l'année du groupe LVMH.

De beaux projets dont les fruits pourraient être cueillis dès 2020. Il se murmure en prime que le groupe serait sur le point de lancer une nouvelle marque de beauté pour étoffer son offre, et qu'il financera la marque à venir de son designer star Nicolas Ghesquière. Des projets suffisants pour permettre à Bernard Arnault de devenir la première fortune du monde en 2020 ? Feuilleton à suivre.

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