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André, Minelli, La Halle... Fin dans l'anonymat d'un ancien fleuron français, Vivarte

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30 juin 2021

C'est une disparation loin d'être anodine pour le secteur mode en France, mais qui s'effectue sans grand retentissement. Vivarte, autrefois fleuron du textile français mis en difficulté par la concurrence internationale et des rachats successifs, va être prochainement liquidé, sous le regard amer d'anciens salariés qui avaient alerté à de nombreuses reprises, jusqu'à Emmanuel Macron avant qu'il ne soit élu président.


La Halle a fusionné ses deux enseignes (vêtement et chaussure) en 2019. - La Halle


Avril 2017, l'alors ministre de l'Economie est encore candidat quand il rend visite à des représentants des salariés de Vivarte. "Il n'y a pas de magicien", avertissait alors Emmanuel Macron. Devant les caméras de l'Emission politique de France 2, il demandait aux représentants de "défendre vos salariés, de ne pas lâcher et l'Etat prendra ses responsabilités".

"Un gros PSE (plan de sauvegarde de l'emploi) avait été validé entre les deux tours de la présidentielle", se rappelle Gérald Gautier, alors représentant syndical Force ouvrière. Emmanuel Macron "a dit qu'on ne laisserait pas faire, et rien ne s'est passé", regrette-t-il mardi, au lendemain de l'annonce de la cession d'ici la fin de l'année des deux dernières marques de Vivarte, Caroll et Minelli. La première va entrer dans le giron du groupe Beaumanoir, la seconde rejoint son ex-marque sœur San Marina sous la houlette de Stéphane Collaert et Laurent Portella.

Comme FashionNetwork.com l’annonçait en mai dernier, un PSE est actuellement en cours chez Vivarte Services, la holding qui rassemble les dernières fonctions support du groupe. Il concerne 34 personnes, qui seront licenciées en décembre 2021. Ensuite, l’année 2022 "donnera lieu à une liquidation à l’amiable de la structure", nous précise le groupe.

"Leader européen"



Le groupe s’est progressivement constitué autour d’André, acteur historique de la chaussure qui a démarré son activité en 1896. Il se diversifie plus tard dans le vêtement en créant La Halle en 1984 et enchaîne les acquisitions dans les années 1980 et 1990. Naf Naf, Chevignon, Beryl, Pataugas, Besson, Kookaï, Creeks, Liberto ou Mosquitos... Toutes ont un temps fait partie de l'ancien groupe André, rebaptisé Vivarte en 2001.


Avec ses petits prix, l'enseigne de souliers André a compté jusqu'à 500 magasins. - Vivarte


Au mitan de la décennie 2000, "Vivarte était le leader européen de l'équipement à la personne, a compté une grosse vingtaine de belles marques, certaines franco-françaises, et 22.000 salariés", rappelle Jean-Louis Alfred, ancien représentant CFDT au comité de groupe et désormais "licencié économique de Vivarte".

Mais ce géant de la distribution a souffert de rachats successifs par des fonds. Deux LBO massifs sont intervenus en 2004 (par Pai Partners) et 2007 (Charterhouse). Ces opérations à effet de levier ont creusé une dette abyssale, tandis que le paysage mode voyait s'imposer des géants mondiaux de la fast-fashion, comme H&M et Zara.

Valse des dirigeants et prise de pouvoir des créanciers



Se succèdent alors à la tête du groupe une série de patrons qui ne parviendront pas à redresser l’activité, alors que la crise économique de 2009 secoue le mastodonte. Suite au départ de Georges Plassat en 2012, Vivarte enregistre le passage éclair d’Antoine Metzger à la présidence, remplacé ensuite par Marc Lelandais, qui initie une montée en gamme inefficace.

2014 signe l’arrivée de Richard Simonin, alors qu’un nouvel accord de restructuration de la dette est signé, menant à la plus grosse conversion de créances en capital "jamais vue en France", soit 2 milliards d’euros convertis (par les fonds Oaktree, Alcentra, GoldenTree et Babson). Remplaçant Stéphane Maquaire, qui n’occupa cette fonction que quelques mois, Patrick Puy est nommé en octobre 2016 à la tête de Vivarte. Un spécialiste du retournement d’entreprises.

Sous sa présidence, le poids de la dette va obliger le groupe à céder progressivement ses marques, et l'empêcher de faire face à la concurrence des ventes de vêtements en ligne, dont les frais de fonctionnement sont généralement beaucoup moins importants. Le portefeuille du groupe, qui affichait encore 14 marques en 2016, passe à 5 en 2019, et enfin plus aucune en 2021. Pour la cession des deux dernières marques, le closing  est ainsi fixé à fin août pour Caroll et mi-septembre pour Minelli.

"Indifférence totale des politiques"



"Déjà à l'époque, on disait qu'on irait vers un démantèlement du groupe", regrette Jean-Louis Alfred. Les syndicats alerteront en effet à de multiples reprises, "dans l'indifférence totale des politiques", accuse-t-il lui aussi. "Vivarte, c'est 5.000 magasins dans toute la France, ce n'est pas un seul gros site comme celui de Goodyear où vous pouvez aller vous faire prendre en photo..."


Patrick Puy - Vivarte


Le point d'orgue de ce détricotage est intervenu en pleine épidémie de Covid-19, à l'été 2020, avec le redressement judiciaire de La Halle. Sur les 830 magasins (et 5.500 emplois) que comptait encore l'enseigne de vêtements et chaussures, 508 avaient été repris dont 366 par Beaumanoir.

"A La Halle surtout, il y avait une vraie culture d'entreprise", regrette Gérald Gautier, qui y était rentré "il y a 20 ans". "Les gens prenaient du plaisir à travailler ensemble et formaient une vraie famille. Tout a été détruit au fur et à mesure".

"Tout ça fait mal au cœur", ajoute Jean-Louis Alfred, qui lance un appel aux responsables politiques: "La dernière chose qu'on puisse faire pour Vivarte, pour tous ces salariés qui se sont sentis des sous-citoyens, ce serait de légiférer contre ce genre de montage, et contre ce genre de fonds, qui n'arrivent que pour démanteler un groupe".

Dans le quotidien Les Echos mardi, Patrick Puy a estimé qu'il avait "le sentiment d'avoir fait le job", et que le démantèlement total du groupe "était inéluctable". Alors qu'il a longtemps soutenu ces dernières années qu'il n'était absolument pas envisagé.

Faisant le tour des médias, celui qui a aussi été appelé au chevet de Kidiliz ou Alès Groupe a déclaré sur le plateau de BFMBusiness ce mercredi: "Sur 20.000 personnes quand je suis arrivé, on en licencié 'que' 1.600, affirme-t-il. C'est 1.600 de trop, mais c'est pas si mal". Pour finir, il prédit dans Les Echos un "choc massif de faillites" à venir, quand cesseront les mesures protectrices de la période Covid.

Avec AFP

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