Par
AFP-Relaxnews
Publié le
26 mars 2021
Temps de lecture
6 minutes
Télécharger
Télécharger l'article
Imprimer
Taille du texte

Chantal Thomass : "J'ai une profonde détestation pour les tendances et leur cohorte de diktats"

Par
AFP-Relaxnews
Publié le
26 mars 2021

En avril et mai prochain, se tiendra une vente aux enchères exceptionnelle consacrée au style et à l'œuvre de Chantal Thomass. La maison de vente Millon y présentera pas moins de 270 pièces, prêt-à-porter et accessoires, que les collectionneurs pourront se procurer en ligne et lors d'une vente au marteau. A quelques semaines de l'événement, la célèbre créatrice de mode revient sur la naissance de ce projet, sur ce style unique qui a fait sa renommée dans le monde, et donne sa vision de la mode actuelle.





Pourquoi cette vente aux enchères rétrospective au lieu d'une exposition plus classique ?

Chantal Tomass :
En 2019, la Joyce Gallery à Paris a organisé une exposition baptisée Personal Dressing qui m'était consacrée: j'y ai exposé mes objets, mes photos, mes collaborations et aussi une partie de mes archives mode. Cette exposition a piqué la curiosité de l'expert Didier Ludot - que je connaissais bien - et qui a demandé à voir l'ensemble des pièces; pièces archivées précieusement près de Paris dans un local à température constante de 15 degrés. L'idée de la vente aux enchères a été rapidement évoquée et la collaboration avec la maison de vente Millon lui a donné vie. Mon travail a souvent été exposé dans le passé. Cette vente aux enchères était un moyen inattendu de présenter aux nouvelles générations mon travail de mode et de faire découvrir la genèse Chantal Thomass… Mon univers n'est pas né ex nihilo ! Et il y avait aussi cette envie de donner une nouvelle vie à ces vêtements que des femmes pourront acquérir et porter.

Votre nom est souvent associé à la lingerie alors que vous avez commencé par la mode. Qu'est-ce qui vous a donné envie de créer des sous-vêtements ? 

CT : J'avais un penchant naturel pour la dentelle, la soie que je travaillais dans ma mode. Les voyages et ma curiosité me poussaient à courir les ateliers et les musées à la découverte des savoir-faire. J'ai ainsi connu les métiers Leavers à Calais et les soyeux lyonnais, mais aussi la lingerie de l'entre-deux-guerres et des années 50. Alors j'ai retravaillé les 'corsets - bustiers' en tissus masculins à porter sur des cols roulés et les robes nuisettes incrustées de dentelle pour le jour. On dit que 'le diable est dans les détails' et je suis dans le détail ! Il m'est apparu que ces tenues tellement réfléchies, tellement pensées méritaient une lingerie digne de ce nom. Ma génération n'en portait que par nécessité ou la brûlait par réaction ! Alors j'ai repensé la lingerie dans des couleurs, des matériaux inattendus décalés et confortables. La lingerie a accompagné ma mode et est devenue rapidement 'mon accessoire de mode'. J'osais la montrer au détour d'une chemise d'homme ou de jupes fendues jusqu'à l'excès. J'ai permis aux femmes de jouer, de s'amuser avec leurs dessous. C'est à ce moment que la lingerie est alors devenue de la mode. Et je tiens à préciser que j'ai dessiné des collections de mode et de lingerie pour que les femmes se sentent belles, sûres d'elles, fortes et qu'elles soient séduisantes d'abord pour elles-mêmes !

Votre style a souvent été qualifié d'irrévérencieux. Qu'est-ce que cela représente à vos yeux ? 

CT : L'irrévérence est dans le jugement de celui qui regarde. Je préfère penser à mon style comme la rencontre d'une vraie fantaisie et d'une certaine idée du féminin… Le tout largement saupoudré d'humour. Et quand on a de l'humour, la séduction est aussi un jeu.

Si vous ne deviez retenir qu'une pièce de cette vente, laquelle choisiriez-vous ? 

CT : Toutes ces pièces ont une histoire et sont 'un moment de vie'. Il y a cette 'mariée écuyère' en doudoune XXL immaculée (lot 45) : j'avais approché dans les années 80-90 la Maison Moncler - encore grenobloise à l'époque - pour travailler sur des doudounes que je voulais théâtrales, avec l'envie de détourner un vêtement technique, d'y mettre de la mode pour se mettre en scène dans la vie. Cela a donné des pièces généreuses, enveloppantes, 'poids plume', et confortables pour le jour comme pour le soir. J'ai aussi d'heureux souvenirs liés à une tenue portée par Isabelle Adjani pour les César en 1984 (lot 191). J'ai travaillé dès mes débuts avec les plumassiers parisiens sur des manteaux, vestes, boléros : c'est chaud, léger et facile à rouler dans une valise. Pour Isabelle Adjani, j'avais pensé une tenue tout à la fois légère, confortable, et spectaculaire dans un blanc mat - comme un écrin à sa beauté - très loin de ce qui se portait à l'époque sur le tapis rouge !

Quel regard portez-vous sur la mode actuelle ?
J'ai un penchant certain pour Chanel et Alexander McQueen. Ces maisons travaillent extraordinairement le noir et les coupes sont impeccables. Les parcours des deux créateurs fondateurs sont passionnants. J'ai encore en tête l'incroyable exposition Savage Beauty qui a été consacrée au V&A à l'artiste qu'était Alexander McQueen et j'ai eu la chance de voir avant le confinement et la fermeture des musées l'exposition Gabrielle Chanel Manifeste de Mode à Galliera. Quoi qu'il en soit, j'ai une profonde détestation pour les tendances et leur cohorte de diktats : c'est sa différence et sa personnalité qu'il faut cultiver !

La féminité, l'affirmation de soi, et la diversité sont au cœur de votre univers depuis près de quatre décennies. Comment expliquez-vous que ces sujets soient toujours au cœur du débat en 2021 ?

CT : Les idées et les envies vont parfois plus vite que la société, et la standardisation tend à effacer les aspérités. Mes défilés étaient un joyeux mélange de féminité, de douces extravagances et aussi de personnalités. Je demandais aux mannequins de s'approprier ma mode, de sourire, d'exister sur le podium, d'être elles-mêmes. Toutes ces beautés étaient uniques et différentes : Grace Jones, Sayoko, Inès de la Fressange et plus tard Linda Evangelista, Naomi Campbell, ou encore Eva Herzigova.

Le corset, une pièce que vous connaissez bien, fait son grand retour. Bonne ou mauvaise nouvelle pour les femmes ?

CT : C'est une bonne nouvelle car j'ai toujours aimé, travaillé et valorisé le corset. C'est une pièce très technique qui a été dans un lointain passé un véritable objet de torture. Je me suis toujours efforcée de montrer et de détourner le corset - avec des tissus masculins par exemple - et de le rendre le plus flatteur et le plus confortable possible. J'aime la sophistication pour les femmes mais qu'elles soient libres de leurs mouvements, alors dès mes débuts j'ai travaillé au plus près avec les fabricants pour donner de 'l'élasticité' et du confort aux dentelles et tissus que j'utilisais. Et notamment grâce à l'élasthanne. Aujourd'hui beaucoup de femmes rondes portent des corsets pour valoriser leurs formes et accentuer, affirmer une silhouette en 'sablier'.

Quels sont les créateurs actuels que vous suivez avec attention ?

CT : J'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir le travail du tout jeune créateur Charles de Vilmorin : c'est différent, ludique, spectaculaire… Une explosion de couleurs en ces temps si ternes ! C'est la rencontre de Niki de Saint Phalle, Kansai Yamamoto et de mon ami Jean-Charles de Castelbajac. Il y a aussi toute une génération de créateurs d'accessoires qui me touchent - et que je porte : les manchettes si délicates de Catherine Osti et les broches surréalistes de Céleste Mogador. Ce sont mes fétiches !

* Madame Chantal Thomass '40 ans de mode' - Vente au marteau Drouot Paris, jeudi 6 mai 2021, à 14h - Exposition les 4, 5 et 6 mai 2021 à Drouot Paris - Vente online du 19 avril au 8 mai 2021 sur Millon.com.
 

Tous droits de reproduction et de représentation réservés. © 2024 AFP-Relaxnews.