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13 nov. 2020
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Commerce: le difficile deuil du mois de novembre

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13 nov. 2020

Comme l'avait laissé entendre l'exécutif aux instances représentatives, le gouvernement a officialisé le 12 novembre au soir la fermeture des commerces dit "non essentiels" pour une durée d'au moins 15 jours. Chez les enseignes et indépendants de l'habillement, la nouvelle a été accueillie avec résignation, tandis que les regards se tournent désormais vers la réouverture probable des commerces en décembre. Perspective dont ministères et fédérations doivent encore définir les modalités, sur fond d'inquiétude croissante autour des frais de trésoreries engagés en vue d'une saison des fêtes amputée de son mois de novembre.


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“Les commerces fermés au titre du confinement le resteront encore pour 15 jours supplémentaires” a fait savoir le Premier ministre jeudi soir. ”Je sais ce qu’est l’angoisse des commerçants, qui n'aspirent qu’à pouvoir travailler. Et sont très inquiets de ne pouvoir rouvrir assez tôt avant les fêtes de fin d’année. Notre objectif est bien de pouvoir y parvenir. Mais ce moment n’est pas encore venu. Cette décision, je la prends en responsabilité. Elle est lourde et difficile. Mais mon rôle n’est pas aujourd’hui d’aller dans le sens de la facilité, de céder à la pression, de faire ce qui serait espéré par beaucoup et je les comprends. Au risque de tout compromettre, et de nous obliger à fermer dans deux semaines, et peut-être pour tout le mois de décembre.”

“J’assume mes responsabilités en termes de protection contre l’épidémie”, a donc insisté Jean Castex. “J’entends les assumer de la même manière pour protéger les victimes économiques du confinement. Nous avons un objectif: tout faire pour sauver nos petits commerces”. 

“Nous devons mettre à profit les jours qui viennent pour travailler avec Elisabeth Borne (ministre du Travail, ndlr) et Olivier Veran (ministre de la Santé, ndlr) sur les nouvelles règles sanitaires qui s’appliqueront au moment de la réouverture des commerces, et quand cette réouverture sera possible”, a de son côté fait savoir le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. “Nous pouvons travailler par exemple sur le renforcement de la jauge, ou éventuellement sur la possibilité de prise de rendez-vous”.

Cap sur le 27 novembre ou le 1er décembre ?



Deux hypothèses de travail se font jour, désormais. Une réouverture éventuelle au 1er décembre, comme évoquée lors de la conférence gouvernementale. Une date que l'Alliance du Commerce, qui regroupe grands magasins et enseignes d'habillement/chaussures, juge "artificielle". Ou bien une réouverture lors du week-end du 27-28 novembre.

Cette seconde solution "permettrait aux indépendants de l'habillement de participer au Black Friday à la mesure de leurs moyens" explique à FashionNetwork.com Eric Mertz, président de la Fédération Nationale de l'Habillement (FNH), qui ne croit pas à une "annulation" de ce rendez-vous shopping venant de l'e-commerce et désormais bien intégré dans les calendriers de ventes physiques. Annulation réclamée par certains acteurs. 

"Une ouverture au 27 novembre serait très stratégique, car elle permettrait d'accueillir la clientèle sur quatre week-ends avant Noël, et donc de répartir les flux", ajoute pour sa part Yohann Petiot, directeur général de l'Alliance du Commerce.

"Sachant qu'il demeure une incertitude sur les modalités, car si les commerces ouvrent, il faudra que les clients puissent y venir dans le respect des règles de sorties". Eric Mertz estime pour l'heure que l'hypothèse de travail la plus probable est une jauge d'une personne pour 8 mètres carrés dans les magasins.

Stocks: vers un "massacre social" ?



Pour Pierre Goguet, président de CCI France, c'est d'ailleurs ce consommateur qui sera aussi acteur du rebond pour les commerçants. Celui-ci a invité, lors de son passage sur franceinfo "chaque citoyen à penser aux commerces de proximité et d'une certaine manière à différer des achats qui pourraient être faits en ligne pour réserver cela à ce commerce de proximité qui, s'il n'a pas cet écoulement de stocks, ne survivra pas".

D'ailleurs, lévocation des stocks par Bruno Le Maire a été dument notée par les professionnels. Pour la FNH, le gouvernement n'a toujours pris en compte les spécificités du commerce d'habillement et ses commandes non remboursables passées il y a parfois un an, tombant sous le coup de la loi Macron d'août 2015 sur les délais de paiement, portés à 60 jours, avec contrôles renforcés de la DGCCRF. "Ce n'est pas anecdotique", pour Eric Mertz, qui souhaiterait voir s'annuler exceptionnellement ce délai.

"Sinon, on va droit à un massacre social, à un tsunami économique", s'alarme le représentant des indépendants. "Et il n'y a pas que la faillite de nos entreprises qui est en jeu, mais bien toute la filière derrière. Je rappelle que les indépendants sont les seuls à pouvoir porter la relocalisation des commandes sur le territoire français. Et ce serait en outre un coup porté aux centres-villes".

Les enseignes redoutent également la question des stocks, qui va peser lourdement sur les trésoreries. "Plusieurs options sont sur la table, que ce soit une subvention à l'exploitation, ou un soutien à la trésorerie", confie Yohann Petiot. Eric Mertz espère quant à lui que ce soutien prenne au minimum la forme d'un PGE "de saison", dédié à ce problème spécifique. "Oui, c'est de la dette, mais on n'a plus le choix: les PGE classiques ont déjà été consommés !" 

La FNH appelle par ailleurs Bercy à faciliter l'accès à sa cellule de restructuration financière. "Car, pour l'instant, rentrer en contact avec cette cellule, cela relève de la Chambre des Secrets d'Harry Potter", pointe Eric Mertz, qui évoque une opacité du dispositif. "Or il faut que nos entreprises puissent faire remonter leurs informations à ce service".

Un autre sujet délicat a été au coeur d'intenses tractations ces dernières semaines: les loyers commerciaux. Comme annoncé quinze jours plus tôt par le Président de la République, l’exécutif entend régler cette question des loyers via un crédit d’impôt. Le dispositif s’est dans l’intervalle renforcé: les bailleurs abandonnant une partie des loyers dus pourront récupérer 50% de la somme via ce crédit, contre les 30% précédemment évoqués par l’Elysée.

Ce sujet offre à l’exécutif une victoire toute symbolique, à l’heure où il refuse aux commerces dit “non essentiels” de rouvrir leurs portes. Le gouvernement peut en effet afficher désormais un consensus des acteurs concernés sur le sujet, après de longs mois de bras de fer entre bailleurs et commerces locataires. Ceux-ci s’écharpaient sur ce point depuis le début du premier confinement, conduisant à l’échec d’une concertation au printemps. Un accord a donc été trouvé, intégrant même une solution avec un crédit d'impôt d'un tiers du loyer pour les galeries marchandes et commerciales.

Un contexte toujours difficile pour l’habillement



Ces annonces interviennent alors que la fédération Procos pour le commerce spécialisé vient confirmer les mauvais résultats du commerce pour octobre. L’équipement de la personne et la chaussure ont connu sur le mois des chutes respectives de 13 et 14,3%. Un contraste clair avec les catégories gagnantes du premier confinement, à savoir le sport et l’équipement de la maison, en progression respective de 26,6% et 21,8% sur le mois d’octobre.


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Sur la période janvier-octobre, Procos montre en outre un recul de 25,1% des ventes physiques d’habillement, et de 18,9% en comptant les ventes en ligne. “Les ventes web ne permettent de rattraper qu’une petite partie des baisses de vente des magasins”, souligne la fédération. “Par exemple, le click&collect, ne représente au maximum que 3 à 7% du chiffre d’affaires d’un magasin”. Un point qui prend tout son sens à l’heure d’un confinement durant lequel Bercy renvoie les commerces physiques à cette pratique

Procos rappelle en outre que, selon les secteurs, les commerces réalisent de 25 à 50% de leur chiffre d’affaires en novembre-décembre. Période désormais officiellement amputée du mois de novembre. “Aucun niveau d’aides ne permettrait aux entreprises de faire face à un mois de décembre fermé !”, pointe l’organisme, qui évoque des stocks en entrepôts et magasins beaucoup plus élevés qu’en mars-avril. 

“Ce stock doit être financé et ne peut l’être que par les ventes qui servent à payer les fournisseurs”, pointe Procos. “Cet important besoin de fonds de roulement en fin d’année rend très fragile de nombreuses enseignes de toutes tailles. Chacun a conscience des difficultés des petits commerçants bien entendu, mais la fragilité des réseaux plus grands (PME, ETI, Grandes entreprises) est totalement sous-estimée y compris ceux qui étaient en bonne santé en début d’année 2020”. C'est pourquoi Laurence Paganini, la présidente de Procos, appelle à la mise "en place d'un véritable plan de sauvetage à la hauteur des enjeux sociaux, du risque de fermeture de milliers de magasins et de défaillance de réseaux entier".


Un revenge shopping en décembre ?



Cet état des lieux augure d'un impact lourd pour nombre d'acteurs de l'habillement qu'ils soient grands ou petits. L'observatoire de l'Institut Français de la Mode a planché sur ce sujet et a dressé trois scénarios suite à l'annonce du reconfinement. "Si le confinement se prolonge en décembre et qu'il n'y a pas de réouverture, nous estimons que le recul serait de 27% par rapport à 2019, estime Gildas Minvielle. Notre scénario optimiste d'un repli de 20% s'appuie sur un retour rapide à la normale de l'ouverture des points de vente. Mais avec les annonces du Premier ministre, l'hypothèse de terminer l'année à -24% dans l'habillement semble la plus juste". Le marché de l'habillement (hors chaussures), dont le périmètre était estimé à un peu plus de 30 milliards d'euros, perdrait ainsi un quart de sa valeur.

De quoi porter un regard inquiet sur les acteurs et les emplois dans le secteur. Même avec les aides, notamment l'activité partielle, les impacts risquent d'être importants en 2020. "Même si nous sommes plus à l'aise sur les évolutions du marché, il nous est apparu important d'établir des prévisions sur ce sujet, souligne Gildas Minvielle. Dans le cadre de l'hypothèse d'un recul de 24%, la perte du nombre d'emplois du secteur de l'habillement, comprenant l'industrie et la distribution, pourrait concerner autour de 40.000 personnes. J'appuie sur le fait que l'incertitude est telle dans cette période que j'associe la plus grande prudence à ces projections. Mais ce qui est marquant c'est que la situation touche toutes les gammes de prix".

Mais peut-on espérer un rebond fort de la consommation des Français sur ces fameuses quatre dernières semaines de l'année? "Les études que nous avons réalisées avec Première Vision à la sortie du premier confinement ont montré que beaucoup de Français sont prudents et ont épargné. Mais le fameux revenge shopping est présent. Nous avions beaucoup de consommateurs qui annonçaient vouloir consommer plus... en profiter au second semestre. Les Français qui sont un peu fatigués de cette situation vont vouloir passer de bons moments sur cette fin d'année". Reste à savoir si leurs achats plaisirs se tourneront vers la mode.

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