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Paul Kaplan
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18 avr. 2019
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La création africaine tire une nouvelle force de la fierté culturelle internationale

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Paul Kaplan
Publié le
18 avr. 2019

Pour recevoir solennellement son diplôme de l'Université du Cap, Tumelo Mahlare, un étudiant en finance de 24 ans, n'a pas l'intention de porter un costume Zegna ou Valentino, mais plutôt une tenue colorée de Maxhosa by Laduma, l'une des étoiles montantes de la mode sud-africaine. Pour l'instant, il ne peut s'offrir que les populaires chaussettes à motifs multicolores de la marque, mais il prévoit économiser assez d'argent pour investir 700 euros dans un look complet d'ici la fin de ses études.


Laduma Ngxokolo, à gauche sur la photo, est le fondateur de la marque de luxe Maxhosa by Laduma - Photo : Maxhosa by Laduma


La marque haut de gamme réussit à attirer les jeunes gens comme Mahlare en tirant parti d'un désir croissant sur le continent africain : la mise en valeur de la richesse et de l'authenticité de son patrimoine. Maxhosa ne cherche pas à copier les modèles occidentaux, mais à capter l'une des nombreuses facettes du mouvement d'affirmation culturel noir, qui prend de l'ampleur dans le monde entier. Le créateur réinterprète, sur des pulls en tricot ultra-contemporains, les motifs perlés traditionnels, le symbolisme et les couleurs des Xhosas, l'un des peuples les plus importants d'Afrique du Sud.

« Je suis vraiment inspiré par Laduma même si je ne travaille pas dans la mode », confie Sashin Pillay Gonzalez, 24 ans, un ami de Tumelo Mahlare qui quitte Le Cap le mois prochain pour Dublin, après avoir été recruté par Google. Les deux jeunes hommes étaient assis l'un à côté de l'autre pour assister au défilé de mode de Maxhosa vendredi soir - plusieurs personnalités avaient également fait le déplacement, dont la critique de mode Suzy Menkes (présente au Cap pour la conférence internationale organisée par Condé Nast) et Patrice Motsepe, fortune sud-africaine de l'exploitation minière.

« Les Sud-Africains sont de plus en plus enclins à porter des marques sud-africaines. Je pense qu'il a fallu un certain temps, après l'apartheid et le colonialisme, pour que les Sud-Africains soient vraiment fiers de leurs origines et de leur identité », estime Sashin Pillay Gonzalez, vêtu d'une chemise Maxhosa à 150 euros.


Sashin Pillay Gonzalez, 24 ans, arbore fièrement une chemise Maxhosa à 150 euros. - Photo : Astrid Wendlandt


Maxhosa by Laduma, une marque créée il y a moins d'une décennie, est aujourd'hui distribuée dans de nombreuses villes d'Afrique ainsi que dans la boutique The Shop at Bluebird à Londres, sur Onchek, un détaillant en ligne basé aux Etats-Unis spécialisé dans la mode africaine de luxe, et au concept store The Native Nation à Lyon. Maxhosa est la marque de mode africaine qui enregistre les meilleures ventes chez Merchants on Long, un concept store spécialisé dans la création africaine niché au cœur du Cap. Le magasin a été fondé par Hanneli Rupert - fille de Johann Rupert, président et actionnaire majoritaire de Richemont, propriétaire de Cartier et de Chloé - : celle-ci croit dur comme fer au succès de Laduma Ngxokolo depuis qu'il a fondé Maxhosa.

« C'est formidable de voir le changement d'attitude à l'égard de la mode africaine », se réjouit Hanneli Rupert. « Autrefois, il s'agissait d'un secteur ultra-pointu ; aujourd'hui, l'intérêt est mondial. Nous sommes fiers d'avoir amplifié la voix des créateurs africains et présenté leur travail. »

Laduma Ngxokolo, qui a fêté ses 32 ans, explique qu'il a senti - sur le continent africain et parmi la diaspora africaine - une augmentation de la demande pour des produits « nettement africains, audacieux et mémorables ». Le jeune créateur a obtenu une bourse pour suivre un master à Central Saint Martins à Londres, financée en partie par WeTransfer. Il a ensuite remporté de nombreux prix, dont le prix Scouting for Africa du Vogue Italia en 2015. Cette année, Laduma Ngxokolo est heureux que deux des huit finalistes du prix LVMH viennent d'Afrique : Thebe Magugu d'Afrique du Sud et Kenneth Ize du Nigeria. Tout en ajoutant : « J'espère qu'il ne s'agit pas d'une manoeuvre de relations publiques ».


Un look féminin du défilé Maxhosa by Laduma - Photo : African Fashion International


« Je sens toute une émulation autour de la mode africaine, mais si tout cela était vraiment sérieux, nous verrions plus de marques africaines aux Galeries Lafayette ou chez Liberty à Londres, et elles exploiteraient des concessions, pas seulement des pop-up éphémères », regrette Laduma Ngxokolo. À son avis, l'intérêt international est souvent refroidi par les inquiétudes concernant la durée de vie de ces nouvelles marques africaines et la rapidité avec laquelle elles seront en mesure d'honorer leurs commandes.

Autre point intéressant soulevé par Laduma Ngxokolo : les créateurs africains disposent d'un accès trop limité à des usines de fabrication de haute qualité et doivent souvent importer leurs matières et même leurs cuirs - les peaux quittent l'Afrique pour être tannées en Europe avant de repartir pour l'Afrique. Le créateur sud-africain rapporte même que certains de ses confrères font fabriquer leurs vêtements et leurs accessoires en Espagne, au Portugal ou en Italie pour garantir la qualité de leurs produits de luxe. Il y a deux ans, Laduma Ngxokolo a résolu son propre problème de production en faisant l'acquisition d'une usine à Johannesburg, en empruntant de grosses sommes à des amis du monde entier, qu'il a réussi à rembourser rapidement. « Pour moi, rembourser ses dettes est une priorité absolue », assure-t-il.

Laduma Ngxokolo est l'un des rares créateurs africains à recevoir les conseils d'Uche Pézard, une consultante célèbre basée à Paris mais originaire du Nigeria, fondatrice de la plateforme Luxury Connect Africa. Objectif : aider les designers africains à développer leurs activités et à promouvoir leur travail. Pour certaines marques africaines, dont Maxhosa et Tiffany Amber, celle-ci a organisé des présentations à l'hôtel Bristol à Paris lors des Fashion Weeks de 2018 et entend bien répéter l'opération lors de chaque semaine du prêt-à-porter.


La créatrice Ituen Basi estime que ses confrères africains ont du mal à accéder aux infrastructures du commerce de détail - Photo : Ituen Basi


« La mode africaine fait de plus en plus de bruit », estime Uche Pézard. « Mais la réalité, c'est que nous n'en sommes qu'au début ». Pour elle, l'Afrique ressemble à la Chine d'il y a 10-15 ans - à l'époque, il y avait peu d'infrastructures et l'écosystème de la mode n'était pas encore très développé. « Aujourd'hui, il n'y a pas de code de conduite en Afrique, pas de points de repère ni d'infrastructures ; mais tout va se mettre en place, étape par étape. Il nous suffira de suivre notre chemin. »

Il a fallu 20 ans à Tiffany Amber, la première marque de prêt-à-porter au Nigeria, pour parcourir le sien et arriver là où elle en est aujourd'hui, dotée d'une infrastructure de production stable et de revendeurs sur tout le continent africain, ainsi qu'à Paris, aux États-Unis et à Londres. Folake Coke, fondatrice et directrice créative de Tiffany Amber, a l'intention de se concentrer sur le continent africain.

« Je crois sincèrement que personne n'habille mieux un Africain qu'un Africain », avance-t-elle. « Les Africains adorent le style, ils adorent la mode. Même les femmes qui vendent leurs produits dans la rue pour un peu d'argent veulent renvoyer une belle image. Ce n'est pas une question de statut social ». Folake Amber prévoit d'ailleurs de tripler la taille de son atelier de production à Lagos au cours des prochaines années afin de répondre à la demande croissante. « Nous voulons conquérir l'Afrique et déployer nos ailes dans le monde entier. »


Folake Coke, fondatrice et directrice créative de Tiffany Amber


Ituen Basi, directrice créative de sa marque du même nom, partage les mêmes ambitions. Elle aussi souhaite établir une forte présence en Afrique, avant de s'implanter sur les marchés étrangers. « L'industrie de la mode n'en est qu'à ses débuts au Nigeria. Nous avons fait de grands progrès, mais il nous reste encore beaucoup de pain sur la planche », reconnaît-elle. Pour Ituen Basi, les créateurs africains rencontrent de grandes difficultés pour accéder aux showrooms internationaux et aux infrastructures du commerce de détail. D'autant que malgré de nombreuses initiatives, le capital disponible pour les jeunes marques de mode est insuffisant. « Les investisseurs potentiels ne comprennent pas comment cette industrie fonctionne et que leur retour sur investissement prendra un certain temps », déplore-t-elle.

Abrima Erwiah a été élevée à New York ; elle a travaillé dans le marketing et la communication chez Bottega Veneta avant de cofonder Studio 189, une marque de mode artisanale basée entre le Ghana et New York. Elle exploite actuellement des magasins à New York et à Accra, un site e-commerce et une usine de fabrication dans la capitale ghanéenne, et soutient divers projets communautaires en Afrique et aux États-Unis. Abrima Erwiah collabore notamment avec des communautés spécialisées dans certaines techniques artisanales traditionnelles, comme les teintures naturelles à base de plantes. Studio 189 a pour partenaires la ITC Ethical Fashion Initiative, la NYU Stern School of Business et a mené des collaborations avec des marques comme EDUN, alors contrôlée par le groupe LVMH et le distributeur Yoox Net-A-Porter.

« Je pense que les gens veulent savoir qui fabrique leurs produits et quelle est leur influence sur la société et l'environnement », explique Abrima Erwiah, qui fait le pari qu'un jour, la mode deviendra un pourvoyeur d'emplois et de revenus pour les Africains - et que le continent sera connu de l'économie mondiale non seulement pour son pétrole, son gaz et ses métaux précieux, mais aussi pour ses créateurs de mode et son savoir-faire.

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