AFP
6 nov. 2005
La fourrure en voie d'extinction en Russie
AFP
6 nov. 2005
POUCHKINO (Russie), 6 nov 2005 (AFP) - Les dirigeants soviétiques bien sûr, mais aussi Jacqueline Kennedy, Boris Eltsine et la princesse Masako comptèrent parmi ses clients. Mais aujourd'hui, même les "nouveaux Russes" boudent ses fourrures : la ferme d'élevage de Pouchkino est en sursis comme tout le secteur en Russie.
Visiteurs dans une boutique de manteaux de fourrure à Moscou Photo : Yuri Kadobnov |
Ce ne sont pas les préoccupations éthiques des consommateurs Russes, encore peu concernés, qui menacent sa survie, mais son incapacité, 14 ans après la chute du communisme, à faire face aux nouvelles réalités économiques, dans un environnement difficile.
"Lorsque je suis arrivé ici, il y a un an et demi, j'ai été choqué", résume Nikolaï Ioumanchev, nouveau directeur général de cette ferme d'élevage d'animaux à fourrure située non loin de de Moscou, autrefois la plus célèbre de toute l'Union soviétique.
"Les canalisations, l'électricité, les bâtiments, le chauffage, tout était pourri", explique cet ancien cadre de l'industrie spatiale.
Les bêtes ne mangeaient plus à leur faim, se reproduisaient de moins en moins et la qualité des peaux devenait médiocre. Pouchkino était moribonde, déclarée en faillite et aurait déjà mis la clef sous la porte sans l'intérêt soudain manifesté par un jeune milliardaire russe, Denis Lavrov, qui a racheté l'an dernier l'entreprise pour une bouchée de pain.
Mais le problème est grave. Des 300 fermes d'élevage qui réalisaient encore 30% de la production mondiale pendant la période soviétique, il n'en reste plus qu'une vingtaine. Pouchkino est l'une des quatre survivantes dans la région de Moscou, avec une production de 100.000 peaux par an, de zibelines, renards bleus ou argentés, visons et autres.
Elle fournit à elle seule la moitié des fourrures de zibeline produites dans le monde, avec des manteaux allant jusqu'à 150.000 dollars, principalement confectionnés à l'étranger.
"Tous les élevages ferment les uns après les autres, nous ne sommes pas compétitifs par rapport à la Chine et au Danemark", constate, comme résigné, Vladimir Koudriavtsev, directeur technique de Pouchkino.
"La Chine a envahi le marché jusqu'à l'Oural avec des fourrures bon marché et les Grecs nous vendent des articles de mauvaise qualité avec des peaux qu'ils achètent ici !", renchérit Alexandre Issaïev, directeur de l'atelier de confection de Pouchkino.
Contrairement aux producteurs Russes, la plupart des concurrents étrangers utilisent des technologies modernes permettant d'étirer les peaux de bêtes pour faire des fourrures plus légères et plus rentables, ce que Pouchkino refuse de faire.
"Nous travaillons à l'ancienne ici et à la commande", martèle le directeur général qui avoue son désintérêt pour la production de masse.
"En Europe, les femmes portent des fourrures comme des bijoux. Elles sont belles, c'est vrai, mais en Russie, la fourrure doit être épaisse et chaude, c'est une nécessité" ajoute-t-il.
L'immensité du pays et l'éloignement de Pouchkino de la mer jouent aussi en sa défaveur, car elle doit faire face à des coûts élevés de transport du poisson pour nourrir les bêtes.
Transport, concurrence, désorganisation de la profession, problèmes sanitaires, marché noir, la liste est longue des problèmes à surmonter et à Pouchkino, l'on ne sait par où commencer.
"Même les bêtes sont difficiles !", s'exclame en riant le directeur technique.
Une zibeline porte en effet ses petits (trois ou quatre en moyenne) pendant neuf mois et la période de fécondation de la renarde ne dure que trois jours sur l'année.
Mais pour les cadres de la direction de Pouchkino, c'est la bureaucratie russe qui reste le problème numéro un.
Nikolaï Ioumanchev assure passer la plupart de son temps à se battre avec les autorités locales pour obtenir licences, autorisations diverses et multiples, supprimer amendes pour infractions imaginaires et régler tracasseries administratives en tout genre.
"On a l'impression que l'objectif de l'Etat c'est de détruire la profession !", s'insurge son collègue, Vladimir Koudriavtsev.
Par Adèle BRARD
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