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22 mars 2023
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Lin: une étude clef pour asseoir les enjeux prioritaires de la filière

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22 mars 2023

L’Alliance du lin et du chanvre européens avait mis les petits plats dans les grands en réunissant liniculteurs, groupes de luxe, responsables de filière et présidents de région le 21 mars au Petit Palais à Paris. Au centre de l’attention: une étude dense faisant l’état des lieux de la filière européenne du lin, et l’orientant vers les grands chantiers de développement qui l’attendent.


Les participants à la présentations de l'étude de l'Alliance du lin et chanvre européen - ALCE



"Qui porte du lin ici-même?" Les mains se sont levées nombreuses parmi les 140 professionnels présents dans l'amphithéâtre où s’exprimait mardi Xavier Bertrand, président de la région des Hauts-de-France, épaulé pour l’occasion de Hervé Morin, son homologue de la région Normandie, également grosse productrice de lin. "La première!", tonne même l’élu, affichant fièrement son engouement pour les matières libériennes, lin comme chanvre.

La région a de fait cofinancé le rapport présenté ce jour, et fruit d’une centaine d’entretiens menés auprès d’acteurs de l’amont, d'industries, de marques, d'experts, et de représentants des filatures chinoise et indienne. Une document réalisé par le cabinet Kea & Partners en collaboration avec l’IFM (Institut français de la mode) et dont les grands enseignements sont librement consultables sur le portail de l’Alliance

Un travail de fond qui doit servir de socle à l’Alliance, qui identifie cinq grands enjeux attendant la filière. A commencer par une étape agricole où deux enjeux se posent: produire mieux, et produire plus. Sur la question de la qualité, le rapport pointe que des améliorations passeront notamment par des champs laboratoires, et l’acquisition croissante d’équipements spéciaux dédiés au lin, de la semence au teillage. A ceci s’ajoute la question de la quantité, les variations entre récoltes pouvant créer de fortes fluctuations de prix.

"Une demande supérieure à l’offre"



"Nous vivons un paradoxe inédit: il y a une tension sur l’offre de la fibre (libérienne,ndlr) qui fait que nous arrivons à des prix jamais atteints", relève Bart Depourcq, président de l’Alliance et dirigeant de l’entreprise Van de Bilt. "Cela s’explique après des années compliquées où le rendement n’a pas été au rendez-vous. Cela a donné cette volatilité importante des prix, avec une demande supérieure à l’offre. Et la situation sanitaire et internationale joue également, tandis que nous avons un marché en pleine croissance pour le lin." 


Alliance européenne du lin et du chanvre


Après l’étape agricole se pose un enjeu au niveau des fibres et filatures. Le rapport pointe comme faiblesse la qualité insuffisamment normée des productions, et souligne l’importance d’aller vers un référentiel commun à l’ensemble du secteur lin. La filière européenne, qui produisait 63,7% du lin mondial en 2021, contre 48,8 % en 2010, peut jouer un rôle moteur sur le sujet. 

Un quatrième enjeu mis en exergue par ce rapport est la question de la filature. Si l’Europe compte 128 lignes de teillage et produit 72% des fibres longues, c’est en Asie que sont filés 73% des fils de lin. "Ce que l’on pourrait voir comme une bipolarisation ne doit pas occulter le fait qu’il existe toujours un maillon 'filature' à l’échelle européenne, et qu’il y a un phénomène de réindustrialisation des filatures de lin en France", souligne le directeur Economie de l’Alliance, Damien Durand. Il rappelle que la France fait partie du club très fermé des pays ayant une chaîne de valeur complète sur le lin.

"La chaîne de valeur de la fibre longue est singulière, même au regard de la complexité de la filière textile-habillement", rappelle de son côté Céline Choain, senior partner de Kea &Partners. "Elle est singulière car aussi bien les acteurs de l'amont (agriculteurs) que les acteurs de l'aval (marques) mettent systématiquement le lin en arbitrage avec d’autres productions”. Si l’experte confirme une aspiration croissante aux matières naturelles dans l’habillement, elle souligne que le lin fait également face à des défis dans ce domaine.

Aller séduire marques et designers



Un autre axe soulevé, et non des moindres, est celui du rapport des marques au lin. Ces dernières saisons, la matière a occupé une part croissante des collections de tous niveaux de gamme.

La matière a représenté jusqu'à 10 % de l’offre de marques de luxe accessible comme Max Mara, Jacquemus, Galeries Lafayette ou Le Slip Français, et jusqu'à 5% pour des marques de luxe comme Chanel, Balmain, Chloé ou Hermès.
Mais pour Alexandre Capelli, directeur adjoint à l’environnement du groupe LVMH, cet engouement n’est pas sans frein. "Ma principale difficulté et d’aller convaincre les équipes créatives", explique le responsable. "Le lin apporte plein de solutions à Loro Piana, Dior, Vuitton. Et il y a un univers gigantesque à explorer avec le lin mélangé, et cela nos maisons sont en train de le comprendre”, pointe par le dirigeant. Il souligne en outre que le lin est la seule matière qui permet à LVMH d’aller simultanément vers ses quatre objectifs: climat, biodiversité, traçabilité et créativité circulaire.

Une séduction des designers sur laquelle vient renchérir Pascal Morand,  président exécutif de la FHCM (fédération de la haute couture et de la mode) : "Le lien avec les designers et directeurs artistiques est très important. Mais il est aussi important avec les créateurs textiles. On est dans du marketing de l’offre et le consommateur ne sait pas ce qu’il veut avant qu’on lui présente le produit. Il faut donc susciter le désir chez le designer”, estime le responsable, peu avare en compliments. "Le lin européen, c’est comme la Paris Fashion Week: c’est un leadership mondial", assène-t-il.


Hervé Morin, président de la région Normandie,et Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France - ALCE



“C’est une étude sans concession concernant les attentes des marques vis-à-vis du lin: à nous de les entendre et de les intégrer”, estime Marie-Emmanuelle Belzung, déléguée générale de l’Alliance, pour qui le plus gros chantier de filière sera d’aligner les enjeux individuels et collectifs. Un travail par lequel, pour la cheffe d’orchestre de l'organisme européen, la filière lin peut, par sa structure et ses certifications, faire école parmi les matières textiles. "Nous pouvons faire du lin et du chanvre la référence internationale au niveau des matières pour le textile-habillement", insiste la responsable.

La filière européenne du lin et du chanvre représente quelque 10.000 entreprises installées dans seize pays d'Europe. Peu consommateur d'eau et sobre en intrants, le lin est presque exclusivement produit sur une bande côtière allant des Pays-Bas à la Normandie. "En tant que Normand, c’est difficile à dire, mais je pense qu’il faudrait y associer les Bretons", sourit Hervé Morin, récoltant des applaudissements en évoquant le récent appel à manifestation d’intérêt (AMI) “Protéines et filières d’avenir”, dans lequel le lin joue un rôle central.
 

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