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25 août 2014
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Misericordia : « En France, on sait faire des talents mais pas des marques » 

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25 août 2014

Cette année, Misericordia fête ses dix ans. Une belle réussite pour la marque française et éthique, made in Pérou, qui possède 80 points de vente dans le monde et produit 25 000 pièces par an.

Pour autant, la griffe qui fait figure d'exemple sur le secteur de la mode responsable n'entend pas se reposer sur ses lauriers et multiplie ses participations aux salons professionnels. Misericordia était ainsi présente aux derniers Pitti Uomo et au Seek Berlin et envisage de se rendre à Don't believe the hype ou Paris sur Mode, en février prochain.

L’occasion pour FashionMag d’interviewer son fondateur, Aurelyen, afin de décrypter les clés qui lui ont permis depuis une décennie d'imposer sa marque dans le paysage mode.

Aurelyen, fondateur de la griffe Misericordia.



FashionMag : Quel regard portez-vous sur les dix années qui viennent de s’écouler ?
Aurelyen: C’est une grande fierté. Le parcours a été très intense, avec ses hauts et ses bas, mais nous avons réussi à construire un projet, avant tout humain, sur le long terme. Je voulais prouver que l’on pouvait fabriquer des vêtements différemment. Nous racontons une vraie histoire, c’est ce qui fait la beauté de l’aventure et a contribué à notre succès.  

FM : En tant que petite marque, d’autant plus éthique, quels ont été les principales difficultés ?
Aurelyen: A nos débuts, le plus difficile était de réussir à produire les vêtements. Développer l’atelier de confection n’a pas été facile car il a fallu créer un savoir-faire qui n’existait pas. Nous avons appris ensemble (avec les couturiers) et  au début, il s’agissait plus de bon sens que de réelles compétences. Le courage et la passion ont remplacé le savoir-faire qui est venu avec l’expérience.

Pourtant, aujourd’hui, ces problèmes semblent anecdotiques comparées à la difficulté de développer une stratégie de marque qui fonctionne. Le climat est extrêmement tendu, particulièrement ces dernières années, et il faut se battre sans arrêt pour imposer son développement, montrer ses collections. C’est vraiment un combat.

FM: Comment expliquez-vous que peu de marques éthiques arrivent à s’imposer dans le temps ?
Aurelyen: Quand on lance sa marque, il faut être passionné et comprendre l’énergie de la mode. C’est ce qui permet de raconter une histoire sur le long terme. Beaucoup pensent qu’ils ont ce qu’il faut et réalisent à posteriori que non…mais la mode est une faucheuse.

Il y a également les créateurs qui ne comprennent pas qu’en lançant leur marque ils devront être capables et surtout avoir le courage de tout faire : dessiner des nuits entières,passer l’aspirateur, gérer la comptabilité, motiver ses équipes… Chaque centime doit être investi dans la création. Très peu sont prêts à faire cela sur le long terme. Après deux ou trois ans, ils veulent devenir une entreprise normale mais ça ne peut pas fonctionner. Quand on est une marque éthique, les contraintes (fabrication, gestion des stocks) sont plus lourdes que pour une marque traditionnelle.

De façon générale, je trouve dommage que la formation française n’explique pas tout ce qu’un tel projet implique. Si un créateur ne souhaite pas cela, il faut qu’il travaille pour une grande marque et c’est tout. En France, on sait faire des talents mais pas des marques. A titre personnel, quand il manque 500 euros dans la caisse pour payer une facture, j’ouvre le dimanche. C’est un choix mais c’est pour ça que ça marche.

FM : Avez-vous dû faire des sacrifices pour ne pas renier vos valeurs éthiques ?
Aurelyen: Bien sûr, des sacrifices ont été nécessaires mais je ne les regrette pas. Nous avons loupé des opportunités car nous étions limités en termes de production et nous manquions de flexibilité. J’aurais pu produire ailleurs qu’au Pérou mais ce n’est pas ma philosophie, ce n’est pas la vocation de Misericordia. Ces projets auraient certainement fait exploser les chiffres mais ce n’est pas pour cela que j’ai créé cette marque. C’est avant tout un projet humain qui permet de partager la culture, d’avoir des vrais rapports humains. De ressentir du plaisir en faisant cela tout simplement.
En parallèle, il y a également des sacrifices personnels à faire. Dans l’idée, vivre entre deux pays (France et Pérou), ça a l’air très glamour. En réalité, cela signifie gérer deux équipes et deux cultures. Comme je suis investi à tous les niveaux, c’est également synonyme de nombreux problèmes potentiels à gérer : à l’atelier les ouvriers qui ont des problèmes personnels, à Paris les factures, les délais de livraisons etc. Je cumule tout.

FM : Comment l’aspect éthique est-il perçu auprès des consommateurs et des distributeurs ?
Aurelyen: Pour les consommateurs comme les distributeurs, ce qui prime avant tout est l’aspect mode. Bien sûr, la démarche éthique va être saluée mais ce n’est pas le point déterminant. C’est simplement ma philosophie et mes valeurs.
Concrètement, les professionnels attendent des marques à la personnalité mode forte et qui sont crédibles. Quand nous nous sommes lancés et que nous avons reçu le soutien du Who’s Next, du Premium et du White, ce n’était pas simplement parce qu’ils aimaient notre démarche. Les grands concept-stores qui nous ont fait confiance non plus. Ils ont été certes séduits par le projet mais aussi et surtout par nos créations. L’aspect créatif et mode est primordial, nous n’avons jamais perdu cela de vue.

Pour les consommateurs c’est un peu différent. Ils restent assez peu sensibles à la démarche éthique et n’accepteraient pas de payer plus cher pour cela. En revanche, la qualité demeure un critère important qui justifie pour eux un prix un peu plus élevé. Les seuls qui fassent exception à cette règle sur les pays où nous sommes présents (Japon, Hollande, France et Pérou), ce sont les Allemands. Cependant, c’est encore autre chose...

Pour eux nous n’allons pas assez loin en matière d’écologie. Le sourcing est déjà compliqué, nous ne pouvons pas nous permettre de faire plus. Notre philosophie est de privilégier l’aspect l’humain quand eux sont très attentifs à la protection de l’environnement.       

FM : Que pensez-vous des initiatives mode et éthiques lancées dernièrement ?
Aurelyen: Personnellement, peu m’importe que les projets soient éthiques ou non. De toute façon, en France, il n’y pas de marché resoponsable à proprement parler. Il y a de la place pour tout le monde, le tout est de se donner les moyens de la trouver.

Alors, ce que je regarde avant tout, c’est l’aspect créatif. Je suis content quand je me dis que Misericordia a contribué à changer les mentalités mais je trouve déjà très courageux de se lancer dans un projet qui a une vraie personnalité. D’ailleurs, c’est assez rare que ce type d’initiatives proviennent de personnes moralement contestables.
 

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