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20 juil. 2016
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Nilufar Khalessi (Les Persiennes et Persiennes Consulting) : « L’Iran est un marché de consommateurs avertis »

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20 juil. 2016

Avec ses 79 millions d’habitants, dont plus de la moitié âgée de moins de 30 ans, l’Iran est un marché dynamique très convoité par les marques internationales. Une convoitise qui s’effectue au grand jour depuis la levée intégrale en janvier dernier des sanctions qui pesaient sur le pays. Journaliste et consultante franco-iranienne, Nilufar Khalessi, qui a récemment réalisé - avec Coralie Bergdoll pour la partie beauté - une étude payante baptisée « Les nouveaux visages de l’Iran, beauté mode et paradoxes » (The new faces of Iran Beauty, Fashion and Paradoxes) », décrypte pour FashionMag Premium le marché iranien de la beauté et ses particularités.


Photo du compte Instagram du concept-store de Téhéran M Zone - Instagram


FashionMag :
Aujourd’hui comment se traduit l’ouverture du marché iranien ?
 
Nilufar Khalessi : Les sanctions internationales ont été levées de manière intégrale en janvier dernier à l'issue d'un processus en plusieurs étapes. En revanche, aujourd’hui par exemple, il n’y a toujours pas d’échanges bancaires qui fonctionnent et il reste des choses à mettre en place. Cela prend du temps, surtout après 35 ans d’embargo. Donc si vous me demandez si, à date, c’est la révolution dans la vie des Iraniens, la réponse est non évidemment. Cependant, je reviens de Téhéran et ce qui est vrai, c’est qu’il y a beaucoup plus d’espoir, de « liberté » d’entreprendre, de faire, les choses sont beaucoup plus fluides dans l’esprit des gens et dans la pratique. Et cela plus particulièrement dans les secteurs de la beauté et de la mode, qui se portent bien depuis un petit moment déjà.

FM : Les marques internationales n’ont justement pas attendu la levée des sanctions pour s’implanter sur le marché iranien ?
 
NK : Tout à fait, j’ai fait récemment les tours des malls (centres commerciaux, ndlr) à Téhéran dont Palladium, le plus récent, très luxe, installé dans le nord de la ville, et toutes les marques françaises et européennes y sont présentes. Les marques sont présentes depuis des années, un groupe comme Safire, qui implante des marques de beauté dans le pays, travaille depuis des années de manière « légale/illégale » avec les marques. C’est la culture et le paradoxe de la civilisation iranienne. Mais, récents, les accords vont accélérer les implantations dans les prochaines années. La construction de nombreux malls est prévue. D’autres enseignes arrivent également. Tati vient d’ouvrir son premier magasin et Sephora prévoit de s’implanter largement dans le pays. Par ailleurs, les accords vont aussi mettre en concurrence les différents distributeurs.
 
FM : A quoi ressemble le marché iranien de la cosmétique ?
 
NK : Le marché de la cosmétique en Iran, c’est à peu près deux milliards de dépenses annuelles. C’est le septième marché mondial de la beauté et le deuxième au Moyen-Orient derrière l’Arabie saoudite. Pour la petite anecdote, une Iranienne consomme un tube de mascara par mois, contre un tous les quatre mois pour une Française. C’est un marché en croissance continue avec une appétence folle des Iraniennes. D’abord parce que les femmes sont voilées et utilisent donc leur visage comme terrain de mise en scène. Les sourcils et les lèvres sont très dessinés, la peau est zéro défaut... C’est aussi très culturel, il y a une vraie définition de la féminité iranienne. Aujourd’hui, une Iranienne ne sort pas sans maquillage, mais je parle bien sûr des femmes dans les grandes villes et pas les villes religieuses. La chirurgie esthétique est aussi très présente. En revanche, si les femmes sont très modernes dans leur maquillage, elles font très attention aux ingrédients avec une connaissance assez médicinale.
 
FM : Il y a aussi différentes typologies de consommateurs ?
 
NK : C’est un marché où il y a globalement trois classes. Les très riches qui sont visés par les malls de luxe. Par exemple, après conversion, un mascara Lancôme coûte environ 42 euros, ce qui est très cher. Donc il faut avoir les moyens. Il y a celles que dans notre étude nous nommons les « Me too », qui sont les plus modestes, mais qui veulent suivre les tendances et consomment donc des marques locales. D’ailleurs, sur le marché iranien, il y a beaucoup de faux et c’est un vrai problème car le faux côtoie le vrai sans réelle législation. C’est un vrai challenge pour les marques. Enfin, il y a la classe intermédiaire, nombreuse en Iran, qui pioche un peu entre les deux.
 
FM : Et comment s’articule la distribution des produits de beauté  ?
 
NK : Il y a les bazars au sein desquels on retrouve beaucoup de faux, mais aussi beaucoup de produits locaux et de matières premières et quelques produits de marques. Sinon, pour les produits de beauté, on les trouve en grande majorité au sein des centres commerciaux.
 
FM : Que conseillez-vous aux marques qui souhaitent s’implanter sur le marché iranien ?
 
NK : C’est un marché qui a longtemps été opaque et qui est donc peu connu. Il est surtout très différent des pays autour. Déjà, religieusement, c’est un pays chiite et c’est une différence majeure avec les pays sunnites de la région. Par exemple, ce n’est pas la même vision de la féminité et de la beauté. Ensuite, les Iraniens sont des gens très nationalistes, qui refusent tous types d’ingérence ou de diktat venus d’Occident. S’ils vont chercher un modèle américain, c’est bien car c’est eux qui sont allés le chercher, mais que les marques françaises ou américaines ne tentent pas d'imposer un modèle, ça ne marchera pas. Ensuite, il y a une vrai connaissance des marchés et des marques. Donc on ne peut pas trop embobiner les gens. Les Iraniens sont par ailleurs des négociateurs extrêmement durs. Alors il faut s’armer de patience. Mais surtout, le point numéro un, c’est d’avoir le bon partenaire et le bon distributeur local. En Iran, sans partenaire local, point de salut. C’est un marché dur et complexe, mais plaisant car les Iraniens sont des consommateurs avertis.
 
Depuis 2014, Nilufar Khalessi est à la tête du webzine Les Persiennes, qui analyse les tendances entre Paris et Téhéran. La journaliste franco-iranienne a lancé en 2015 Persiennes Consulting, qui cultive un double objectif : aider les marques de luxe et beauté qui s’intéressent au marché iranien et aider les marques iraniennes qui souhaitent s’exporter. C’est dans ce cadre que Persiennes Consulting a récemment lancé son étude The new faces of Iran Beauty, Fashion and Paradoxes, qui décrypte les tendances mode et beauté en Iran.

En savoir plus :
www.lespersiennes.com/
https://www.instagram.com/daily_persiennes/

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