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24 mars 2021
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Ouïghours: les Eurodéputés face à Pékin, les ONG face aux marques

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24 mars 2021

L'Union européenne a pris lundi des sanctions contre quatre hauts responsables chinois pour atteintes aux droits de l'homme. La Chine a répliqué via des sanctions prises contre dix parlementaires et chercheurs européens. Des marques comme H&M, Nike ou Burberry ont eux vu leurs produits retirés des sites chinois, sanction pour avoir évoqué ou suspendu leurs relations avec le Xinjiang. Pour les ONG, loin des bras de fers politiques, c'est au tour des marques de tirer les conséquences des accusations de travail forcé des Ouïghours.


Des travailleurs Ouïghours dans une usine d'Hotan (Xinjiang) en 2019 - Shutterstock



Les sanctions chinoises ciblent cinq députés européens: le français Raphaël Glucksmann, le Bulgare Ilhan Kyuchyuk, la Slovaque Miriam Lexmann et les allemands Michael Gahler et Reinhard Bütikofer. Du côté des députés nationaux sont visés le député néerlandais Sjoerd Wiemer Sjoerdsma, le Belge Samuel Cogolati et le Lituanien Dovile Sakaliene. Sont également concernés l'anthropologue allemand Adrian Zenz, qui s'est penché sur les camps du Xinjiang, et le spécialiste suédois des relations internationales Björn Jerdén, par ailleurs directeur du Swedish National China Centre.

Tous sont accusés de "porter gravement atteinte à la souveraineté et aux intérêts de la Chine et de propager des mensonges et de la désinformation". Comme le relevait FashionNetwork.com, s'ajoutent aux sanctions des insultes, comme celles adressées au chercheur français Antoine Bondaz par l'ambassadeur de la Chine en France. Des mots qui, dépassant le cadre du bras de fer diplomatique, ont valu au représentant chinois d'être convoqué hier par le ministère français des Affaires étrangères, qui évoque par ailleurs des "menaces" contre des parlementaires français préparant une visite à Taïwan.

Pour Sjoerd Wiemer, les sanctions prisent contre lui par la Chine "sont la preuve que la Chine est sensible aux pressions extérieures", et promet de ne jamais garder le silence "tant que la Chine commettra un génocide". " J'espère que mes collègues européens profiteront également de ce moment pour s'exprimer", a-t-il par ailleurs appelé.

Des sanctions comme 'médaille d'honneur"



"Soyons clairs: ces sanctions sont ma médaille d’honneur. Le combat continue !", a de son côté réagi l'eurodéputé français Raphaël Glucksmann, particulièrement vocal sur le sujet depuis plus d'un an. L'élu note d'ailleurs que l'interdiction d'entrer sur le territoire chinois, ou d'avoir des contacts avec responsables ou entrepreneurs chinois, s'applique également à toute sa famille. "Tout cela parce que je suis pour les Ouïghours et les droits de l'homme. Fier de partager cette liste avec neuf européens qui luttent pour la liberté et la dignité humaine. Aucun de nous ne sera réduit au silence".

Le député belge Samuel Cogolati pointe quant à lui des sanctions qui font "froid dans le dos", mais qui n'arrêteront pas les élus européens, au contraire plus mobilisés que jamais sur la question des Ouïghours. "Notre devoir de parlementaires est de défendre la démocratie et les droits humains", insiste-t-il. "Avec mes collègues, je suis plus solidaire et déterminé que jamais".

Depuis l'Allemagne, l'eurodéputé Reinhard Bütikofer rebondit lui sur l'expression "Loup Guerrier", utilisée pour décrire la diplomatie chinoise, en pointant que la stratégie du "tigre fou" crée aujourd'hui encore plus de dommages à la Chine elle-même. "Si les dirigeants autoritaires de Chine pensent vraiment qu'ils peuvent dire à l'UE de 'corriger leur mauvaise trajectoire' pour éviter d'autres dommages, ils auront de mauvaises surprises. Les démocraties sont lentes à entrer en conflit, préfèrent l'éviter, mais si elles le doivent, elles seront plutôt têtues", indique-t-il via les réseaux sociaux. Soulignant ne pas croire à une désescalade de la part de Pékin, qui estime avoir "perdu la face" à cause de l'UE.

Une réponse économique plus que politique



Ces échanges s'effectuent sous le regard d'ONG tirant depuis plus d'un an la sonnette d'alarme sur le cas des Ouïghours. Des organisations qui, si elles saluent pour certaines un "grand pas", sont restées néanmoins plutôt discrètes suite aux annonces européennes. Une prudence qui, comme souvent, est conditionnée par la volonté de protéger les partenaires locaux des différentes ONG, et notamment ceux installés à Hong Kong.


En juillet 2015, une manifestation s'était tenue à Strasbourg pour alerter sur le cas des Ouïghours - Shutterstock



"Pour nous, la sanctuarisation des droits fondamentaux passe par l'encadrement de ces grands groupes, et c'est surtout là-dessus que l'on attend l'Europe", souligne auprès de FashionNetwork Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l'Étiquette. Les Eurodéputés viennent en effet de réclamer un Devoir de Vigilance à la Commission européenne. Les ONG se préparent donc dans les deux ans à venir à maintenir la pression sur cette instance, en espérant faire contrepoids face au lobbying des syndicats patronaux.  

En parallèle, les ONG maintiennent la pression sur les entreprises elles-mêmes afin qu'elles se désengagent des productions du Xinjiang. Une vaste coalition (End Uyghur Forced Labour) lançait l'été dernier un appel coordonné aux marques, notamment d'habillement, à rapidement prendre position sur le sujet. Tout comme certaines l'ont fait à l'occasion du coup d'État birman. "Nous n'avons que Marks&Spencer, comme marque au chiffre d'affaires significatif, qui a accepté de signer notre appel en début d'année", indique Nayla Ajaltouni. "Mais nous sommes en discussions avec de grosses enseignes de fast-fashion, pour l'heure en toute confidentialité à leur demande, afin de faire une communication groupée quand suffisamment de marques auront signé cet appel".

Des marques occidentales retirées des sites chinois



 La Chine a pris des mesures de rétorsion contre le géant du prêt-à-porter suédois H&M, qui avait décidé l'an dernier d'arrêter d'utiliser du coton en provenance du Xinjiang, province peuplée d'Ouïghours. Les produits H&M ont disparu mercredi de la plateforme Taobao, propriété du géant Alibaba, tandis que deux acteurs populaires ont coupé leurs liens avec le groupe suédois. Les médias d'Etat accuse le groupe de "manger le riz chinois tout en cassant le bol". Nike a rapidement été ciblé par une mesure similaire, de même que Burberry, première marque de luxe visée. Tandis que sur les réseaux sociaux chinois circulent des appels au boycott d'autres marques ayant pris position, comme Lacoste, Calvin Klein, Tommy Hilfiger, Abercrombie & Fitch, ou encore Marks & Spencer. Sans oublier Uniqlo, Zara, Gap ou encore Adidas.

Les groupes Inditex (Zara) et Nike Inc sont les plus ciblés par les ONG sur le sujet des Ouighours. "On est malheureusement face à des enseignes qui s'enferment dans leur dogme économique", explique la responsable d'Éthique sur l'Étiquette. "Ils nient toute implication, se sentent totalement non redevables sur ces questions de droit humain, chaine d'approvisionnement ou droit environnemental. Et ceci malgré le volume d'achat d'Inditex dans la province concernée" (lire la position d'Inditex en fin d'article*).

Un bras de fer qui ne se limite pas à l'Europe et à la Chine. Les États-Unis sont également largement visés par une large campagne de communication visant à décrédibiliser les accusations de travail forcé de la minorité musulmane des Ouïghours dans la province de Xinjiang. Province depuis laquelle les États-Unis ont bloqué les importations de coton, tissus et vêtements. Une lutte qui passe principalement par les ambassades via leurs comptes sur les réseaux sociaux occidentaux. Parfois même sous la forme de dessins animés (relire notre article).

 

*Inditex France avait adressé à FashionNetwork.com ces précisions fin janvier 2021: "Nous menons une politique de vigilance maximale et une tolérance zéro à l'égard du travail forcé, quel qu'il soit. Nous avons mis en place des actions strictes et concrètes pour garantir qu'aucune dérive ne se produise au sein de notre chaîne d'approvisionnement. Le groupe Inditex continue de renforcer son engagement avec des experts à tous les niveaux de sa chaîne d'approvisionnement, y compris avec "the International Labour Organization" et "the Ethical Trading Initiative", afin de prévenir toute forme de travail forcé".

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