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Marguerite Capelle
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22 janv. 2019
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Paris : une saison d'assemblages et d’authenticité

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Marguerite Capelle
Publié le
22 janv. 2019

Cette saison masculine a été particulièrement dense à Paris, avec de nombreux débuts sur les podiums et plus important encore, de nombreuses influences… souvent au sein d’une même collection.

Des maisons comme Balmain ou Sacai ont fait forte impression avec des vêtements parvenant à associer une myriade de styles, fréquemment dans une seule et même pièce. Ailleurs, la saison a été synonyme de retour à l’authenticité, de désir de nature : comme lors du moment Marcel Pagnol offert par Jacquemus, du défilé aux influences océaniques de Jason Basmajian pour Cerruti et de l’hommage rendu par Kenzo à la culture péruvienne.
 

Balmain - Automne-hiver 2019 - Prêt-à-porter masculin - Paris - © PixelFormula


Balmain

Aucune griffe de mode n’évoque davantage les rendez-vous nocturnes que Balmain. Sous la houlette créative d’Olivier Rousteing, elle fait du glamour sombre un phare : et cela avait rarement été aussi vrai que dans ce dernier défilé masculin, une démonstration franche, amusante et fantastique de chic rock et dance.

Olivier Rousteing est aussi manifestement au bon endroit dans cette maison dont la direction croit en lui et le soutient. Le jour du défilé, Balmain lançait sa propre application. Cette semaine, la marque reviendra sur les podiums de la haute couture après une interruption de dix ans. L’application est conçue pour donner accès à l’atelier de couture de la maison à son Armée Balmain. Mercredi, Olivier mettra en scène ce défilé couture dans un tout nouveau magasin amiral, dans le quartier le plus en vue de Paris pour la mode, la rue Saint-Honoré : juste en face de l’Hôtel Costes, le nec plus ultra des auberges branchées de la capitale. Le public ne dépassera pas les 150 personnes. Pas étonnant que cette application soit utile.

Ce qui fait d’Olivier Rousteing un grand créateur – car c’est ce qu’il est –, c’est son talent particulier pour synthétiser les styles, les références et les cultures, et en faire un message puissant et incisif. Il ne sera jamais un créateur discret et nous devrions nous en réjouir, surtout quand cela produit des collections aussi parlantes que le défilé de ce lundi soir.

Présenté dans un vaste espace de béton réservé au tennis d’intérieur, dont le sol avait été intégralement recouvert d’un revêtement argenté réfléchissant, la collection était un hommage à Michael Jackson bourré de toutes sortes de références : styles militaire, punk, dandy du rock ou urbain, rap… le tout formant tout de même un ensemble cohérent. Et par ailleurs, l’objectif d’Olivier Rousteing était parfaitement atteint : « Faire une collection digne de la force et de la confiance en eux des anticonformistes urbains d’aujourd’hui. »
 

Sacai - Automne-hiver 2019 - Prêt-à-porter masculin - Paris - © PixelFormula


Sacai

« Je voulais un melting pot de mode », souriait Chitose Abe en coulisses au sujet de sa dernière collection pleine d’assemblages présentée au cœur de la Galerie Courbe du Grand Palais avec des mesures de sécurité drastiques.

Peu de créateurs ont eu autant d’influence sur la mode ces dix dernières années que Chitose Abe, dont la façon d’entremêler les coupes, matériaux, époques et concepts s’est insinuée dans des dizaines d’autres collections.

Cette saison, elle a mêlé et mixé les styles avec une grande confiance en elle. Elle déploie ses défilés autour de différents thèmes, comprenant cette fois la transparence, les gros, les leggings ultra-techniques, les doudounes, les imprimés animaux, la fausse fourrure et les carreaux. Et avec une dose de tulle, de dentelle et de pied-de-poule en plus, associés à des chevrons et du tweed très lady.

Rien que des dandies disruptifs et des dames rebelles, puisqu’il s’agissait d’un défilé mixte ouvert par Kaia Gerber.

D’autre part, Chitose Abe a réussi à lancer quatre collaborations différentes : Sacai eyewear by Native Sons, des écouteurs sans fil à perles Beats X, des baskets et vêtements d’extérieur Nike x Sacai et même, assez bizarrement, des tee-shirts et des sweats à capuche issus d’une collaboration avec Bar Italia. Le bar bohème légendaire de Soho.

« J’y allais quand j’étais étudiante et le mélange de gens et de personnalités m’a toujours fait penser à la liberté », souriait la créatrice, entourée par un énorme groupe de fans après un défilé globalement excellent.
 

Kenzo - Automne-hiver 2019 - Prêt-à-porter masculin- Paris - © PixelFormula


Kenzo

L’un des meilleurs défilés de la saison est clairement celui de Kenzo, qui faisait référence à l’art du Pérou et au peuple Tusán, la communauté d’origine chinoise dont est issu Humberto Leon, l’un des deux membres du duo de créateurs de Kenzo, avec Carol Lim.

Le résultat était une fresque murale sublime dans les profondeurs du Carrousel du Louvre, reproduction d’une œuvre de l’artiste Pablo Amaringo. Un inconnu pour les novices eurocentrés, mais clairement un talent majeur.

Qui laissait ensuite place à une collection impressionnante du tandem de créateurs, avec des fuchsias, roses et indigos sauvages des Andes, ainsi que ces textures duveteuses qu’on associe aux laines péruviennes.

Des vêtements de ville avec une touche rando : y compris des pièces en raphia recyclé et des polaires décalées, et une série d’imprimés de la Terre sous les nuages.

Un défilé mixte avec des mecs en parkas kaki sans manches, des vestes de ville au drapé astucieux et des trench rembourrés pour hautes altitudes dans le même pot-pourri de couleurs que la fresque murale : citron amer, orange sanguine, bleu d’encre et bleu céruléen délavé.

Et des filles dans de grosses vestes rayées en duvet, des pardessus de déesses rock en fausse fourrure brillamment marbrées et des jupes audacieuses en velours, toujours pleines de références aux œuvres de Pablo Amazingo. Toutes ces pièces incarnaient la multiplicité des origines des peuples latino-américains.

« À une époque où les mouvements de populations et le développement du dialogue interculturel influent plus que jamais sur notre vie quotidienne, notre envie de raconter des histoires personnelles chez Kenzo n’avait jamais semblé plus pertinente », expliquait admirablement le duo dans sa note de programme.


Jacquemus - Automne-hiver 2019 - Prêt-à-porter masculin- Paris - Photo: Jacquemus/ Bruno Staub


Jacquemus

Simon Porte Jacquemus a intitulé sa dernière collection (ainsi que le look book dans le style magazine qui l’accompagnait) Le Meunier, faisant manifestement référence à Marcel Pagnol, le grand romancier, dramaturge et réalisateur français. Provençal comme Jacquemus, Pagnol a même réalisé un film intitulé La Belle Meunière, une opérette racontant l’histoire du compositeur Schubert, qui s’éprend d’une jolie fille près d’un moulin.

L’honnête vie de la campagne était le thème du défilé, avec des dizaines de mannequins rassemblés autour d’une table rustique croulant sous d’énormes meules de fromage et imposantes miches de pain, consommés par les tops meuniers pendant le défilé.

Ces derniers ont gagné leur table d’un pas léger à l’occasion de ce défilé « petit-déjeuner », en vestes et pantalon denim opéraïstes, avec des manches retroussées sur trente centimètres et des coutures piquées au point de sellier, des coupe-vent multiboutons et des tuniques légèrement matelassées.

Pour leur rendez-vous avec la jolie Meunière, ils arboraient des costumes aux teintes orange amère et écru avec des vestes superposées. La palette évoquait la terre : orange brûlé, sol sablonneux, chair poussiéreuse et cuir brut. Et surtout avec toute la série de harnais, jambières et sacs en bandoulière imaginés par le créateur dans ce même cuir brut.

Impossible de vraiment bien voir les vêtements, puisque les mannequins défilaient au milieu de spectateurs debout. Ce n’était peut-être pas la meilleure manière de montrer une collection de prêt-à-porter masculin, mais on se doutait que Marcel Pagnol, avec ses sujets de prédilection (la famille, l’attachement au village et le renouveau de la vie provinciale) aurait beaucoup aimé cette collection de Jacquemus.
 

Cerruti - Automne-hiver 2019 - Prêt-à-porter masculin - Paris - Photo: Cerruti


Cerruti

Moment d’exploration urbaine pour la maison Cerruti, dont le créateur, Jason Basmajian, a trouvé l’inspiration lors d’une visite de l’exposition Oceania, à l’Académie royale de Londres.

Le résultat était l’une de ses collections les plus puissantes à ce jour, mettant en valeur un sportswear sophistiqué : des parkas audacieusement matelassées avec des poches plaquées, un manteau Chesterfield à col montant parfaitement coupé, associé à un gilet-top en coton, des pulls d’Aran aux motifs irréguliers et des trench de super-héros en toile plastifiée taillés pour des géants. Avec en prime ces imperméables façon cape évoquant la série télé Dixon of Dock Green, parfaits pour tout Blade Runner du 21e siècle.

Jason Basmajian a également intégré une collection capsule pour femmes avec des tailleurs masculins très frais, un ou deux trench au gigantisme improbable et des redingotes à la coupe impeccable.

En un mot, une collection pas vraiment révolutionnaire, mais plausible, raffinée et souvent très élégante. C’est bon de voir la maison fondée par le grand Nino Cerruti en de si bonnes mains avec Jason Basmajian.
 

Jil Sander - Automne-hiver 2019 - Prêt-à-porter masculin- Paris - © PixelFormula


Jil Sander
 
Encore un début, même s’il avait lieu dans un repère familier, avec le premier défilé masculin du couple marié à la ville formé par Lucie et Luke Meier, à Paris pour Jil Sander.

Le duo s’est attiré une réputation légitimement positive à Milan pour avoir redonné vie à Jil Sander grâce à une approche qui parvient à combiner le côté cérébral et le romantisme. Ils ont tenté de transformer l’essai ce vendredi, avec leur défilé présenté au sein de l’Hôtel Salomon de Rothschild, endroit où ont lieu beaucoup de défilés cette saison.

Il y a avait beaucoup de choses admirables : de volumineux manteaux en laine brute aux trench framboise sombre à la coupe précise. Mais bien trop souvent les vêtements avaient l’air maniérés, voire prétentieux : du costume pyjama clownesque en cuir verni aux bottines médiévales en caoutchouc, assez bizarres.

Ils n’ont pas été aidés non plus par un accident vestimentaire qui a vu un manteau tomber littéralement des épaules d’un mannequin. Et ce même si le final de capes flottantes en soie était plein de charme. Mais pour quelqu’un d’assez âgé pour avoir assisté au premier défilé masculin de la fondatrice, Frau Jil Sander, ces pièces ne contenaient pas vraiment l’ADN Jil Sander requis.

Une collection méritante, mais ce genre de mérite n’a jamais remporté de course, ni de prix.

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