Schiaparelli: de l'influence de Man Ray sur la mode en 2021

Auteur :

Godfrey Deeny

Traduit par
Paul Kaplan

Publié le
10 mars 2021

Une oreille géante en métal doré, percée d'anneaux, dont s'empare une main chargée de lourdes bagues évoquant des dents en or. Le mannequin, vêtu d'une combinaison à capuche, se sert de l'objet comme d'un téléphone portable pour expliquer à son chéri que ce soir, elle n'est pas disponible. Bienvenue chez Schiaparelli.

 
Une oreille-téléphone, voilà une idée dadaïste un peu absurde qui aurait plu à Man Ray, un grand ami d'Elsa Schiaparelli — on imagine bien l'artiste surréaliste utiliser cette image dans son film Emak-Bakia. Ou bien la suivante, quand le mannequin se prépare pour une séance photo, coiffé d'un chapeau plaqué or et des disques dorés à la place des seins, sur une petite robe noire à la fois sculpturale et discrète, perchée sur des chaussures à plateformes vertigineuses, ornées d'orteils en métal doré.

Le surréalisme infuse toute la collection — à la manière de ce disque-sein, transposé dans une version en feutre écru sur un manteau de ville chic, lacé au dos. Et même le pull de la saison — en maille irlandaise blanche — se trouve réinventé chez Schiaparelli, agrémenté d'un bonnet de soutien-gorge en cuir doré. Jusqu'aux boucles d'oreilles gravées d'un oeil embué de larmes, en passant par ces lunettes de soleil blanches dont la pièce centrale se mue en nez sculpté, lui-même percé de son propre petit anneau.

L'esprit de la collection repose d'ailleurs en grande partie sur les accessoires — une stratégie commerciale plutôt astucieuse, orchestrée par le directeur créatif de la maison, Daniel Roseberry. Ceux-ci sont souvent cloutés, ornés de trous de serrure évocateurs, de pinces sculptées en forme de bouches ou d'oreilles à la Salvador Dali, voire de têtes de chèvres énervées. Pour fermer les vestes, jupes et pantalons en denim, de gros boutons estampillés "S" pour Schiaparelli, déclinés en blanc, en bleu ou en noir.

"Le surréalisme, c'est comme un filtre de bonheur. Et un bijou, c'est autant une armure qu'un ornement. Sa grammaire est sans fin. Les silhouettes ont quelque chose d'irrévérencieux. C'est ça Schiaparelli !", explique Daniel Roseberry, dont la vidéo de présentation était entrecoupée d'images d'ordinateurs dorés, manipulés par des mains assorties, et de chaises de bureau peintes en or.

"Nous tous qui aimons la mode comprenons que le mariage est parfois difficile (et pourtant nécessaire) entre la création et le commercial. Trop souvent, c'est le second qui l'emporte. C'est pourquoi je suis heureux de travailler pour une maison de mode où la créativité est toujours prioritaire", souligne le créateur américain dans son programme.
 

 
En résumé: après des débuts prometteurs, Daniel Roseberry se sent comme chez lui chez Schiaparelli, et propose des vêtements élégants avec une touche surréaliste, des accessoires accrocheurs et originaux avec une allure commerciale.

Elsa Schiaparelli a fermé sa maison en 1954, pour prendre sa retraite. Après sa mort en 1973, plusieurs créateurs se sont essayés à ressusciter sa marque, jusqu'à son rachat par Diego della Valle en 2007. Aujourd'hui, sous la direction de Daniel Roseberry, son avenir semble radieux, ou plutôt doré.

De là-haut, nul doute que Elsa, Man et Salvador sont ravis de cette collection.