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Stéphane Rouquette (Azoya) : "Les marques de luxe ne s’attendaient pas à passer par des marketplaces chinoises"

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4 déc. 2017

D’Alibaba à Kaola en passant par JD.com, les acteurs chinois de la vente en ligne fourbissent leurs armes pour attirer les marques de luxe internationales. Directeur France du spécialiste des solutions pour l’e-commerce transfrontalier en Chine Azoya, Stéphane Rouquette analyse cette évolution pour FashionNetwork.com et évoque les prochains défis qui attendent, selon lui, le marché chinois du luxe en ligne.


Stéphane Rouquette - Azoya


FashionNetwork.com : A quoi attribuez-vous l’agitation récente de l’e-commerce chinois concernant le luxe ?

Stéphane Rouquette : L’engouement des marques de luxe pour la Chine est clair depuis un bon moment déjà. Après, il y a sur le front du e-commerce une question de timing qui entre en jeu. Pourquoi Alibaba, Kaola, JD.com et les autres se lancent-ils dans la course au luxe ? Je pense que c’est parce que le marché chinois du luxe est désormais aussi massif que mature. L’avènement du digital dans le pays permet d’ouvrir de nouveaux canaux de distribution, notamment via la montée en puissance du commerce transfrontalier (cross-border). Internet rebat totalement les cartes pour le marché du luxe, là où le digital est déjà essentiel sur les autres niveaux de gammes. L'e-commerce cross-border permet d’assouplir l’importation sur le marché chinois, éliminant au passage quelques intermédiaires. Et le nombre de cyberacheteurs chinois augmente encore, car l’e-commerce n’est pas encore à maturité au niveau local, bien qu’il soit déjà gros. Certaines marques de luxe ont refusé, pour des raisons qui leur appartiennent, de se tourner vers le digital il y a quelques années, et le font aujourd’hui sur le tard. Du coup, elles se retrouvent en Chine face à des opérateurs du type Alibaba ou JD.com. Il y a en parallèle une tendance croissante des consommateurs chinois à aller chercher le vrai produit, le produit de qualité. La population est toujours plus au fait de notions autres que le prix. Tous ces éléments font aujourd’hui du luxe un univers recherché.

FNW : De quelle manière une marque de luxe doit-elle adapter son discours pour toucher le marché chinois ?

SR : Si l’on s’adresse à des clients recourant au cross-border, il faut que les marques leur apportent le même message qu’elles portent au niveau mondial. Ensuite, de la même manière que vous ne vous adressez pas de la même manière à un Français, un Américain ou un Argentin, il faut savoir moduler sur discours pour parler au client chinois. Je pense que les marques de luxe ne s’attendaient pas à devoir passer par des marketplaces chinoises, et des acteurs si prépondérants en Chine. Mais elles se rendent compte de la complexité de ce marché, principalement emmené par les places de marché. En France, chacun avait son site propre, et les marketplaces sont arrivées en parallèle. Si bien que les sites ont créé leurs propres places de marché pour intégrer des produits. Sur le marché chinois, on est sur une tendance inverse. On a de très gros acteurs nationaux et mondiaux, couvrant toutes les facettes du business : B2B, B2C, B2B2C, voire du C2B. Et on a donc des monstres qui proposent une offre pertinente pour certains. Mais tout le monde n’a pas vocation à aller vendre sur un site d’Alibaba, JD.com ou Kaola ; tout comme tout le monde n’a pas vocation à s’essayer au Black Friday ou à la Journée des Célibataires, qui nécessitent un positionnement prix qui se prête mal au luxe. L’important est de positionner la marque comme elle doit l’être sur le marché.

FNW : Quelles sont les règles de base auxquelles les marques doivent se plier pour réussir en Chine ?

SR : La première question que nous posons est de savoir si une marque est connue en Chine. Si elle ne l’est pas, la stratégie cross-border n’est sans doute pas la plus appropriée : il faut d’abord mettre en place une vraie stratégie de marque pour développer le transfrontalier par la suite. Une autre stratégie, mais qui nécessite d’avoir les reins solides, est d’aller sur les places de marché, de faire en sorte d’être constamment le premier dans les recherches, et de faire son branding à partir de là. Car la seconde grande question à se poser est celle du budget que l’on souhaite allouer à son développement chinois. Le marché est gros, a un fort potentiel, mais peut coûter très cher si on ne choisit par le bon partenaire. C’est notamment pour cela que nous refusons de notre côté les partenariats, et que nous travaillons à la commission. Car si on n’est pas certain de pouvoir aider la marque, et de ne pas lui faire perdre d’argent, on ne le fera pas.

FNW : Dans l’accompagnement des marques, certains comportements de consommateurs chinois vous ont-ils surpris ?

SR : Il faudrait surtout le demander aux marques. Mais je pense que tout le monde a été surpris de voir avec quel engouement les consommateurs chinois sont prêts à faire la queue devant les magasins, et à payer très cher pour avoir un produit, voire même à payer des gens pour aller leur acheter les produits. Tout cela est lié à la notion du paraître, très forte en Chine. Là-bas, l’utilisation d’outils digitaux font que la représentation de soi-même, via les réseaux sociaux, est bien plus importante que ce que nous vivons chez nous. C’est aussi lié à l’accroissement rapide de la classe moyenne, avec des pouvoirs d’achat parfois exponentiels.

FNW : Les marques ont-elles finalement pris le pli de cette utilisation incontournable des réseaux sociaux ?

SR : Ce virage est en train de se faire. Est-ce qu’ils optimisent leur présence sociale ? En revanche, je n’en suis pas convaincu. Mais cela reste un passage obligé. Si vous n’êtes pas sur Wechat, vous vous privez d’un outil clef. Wechat est utilisé couramment pour la vie personnelle comme professionnelle. De plus, Wechat Pay arrive aujourd’hui même en France. Donc, ne pas y être, c’est manquer de visibilité.

FNW : Quand l’e-commerce chinois de luxe aura atteint sa maturité, quelle sera la prochaine étape ?

SR : Je pense que les contrefaçons de luxe tendent à disparaître en Chine. Et, un peu comme sur tous les marchés où le luxe est mature, vous avez un marché de la seconde main qui va se former. Ensuite, tout va reposer sur la capacité des marques de luxe à répondre à la demande, notamment sur des questions de pénurie. Et puis, il y a aussi des marques chinoises de luxe qui sont en train de monter. Dans les cosmétiques, on commence à voir des marques chinoises haut de gamme vendues à Paris. Les professionnels chinois comprennent bien la frénésie locale de la consommation, et ils savent qu’il y a un marché à prendre. Je pense qu’il y aura, à un moment donné, une redistribution des cartes. Aujourd’hui, les marques américaines ou européennes connues sont recherchées. Quand des marques chinoises viendront sur ce positionnement, la concurrence sera différente. Il faut anticiper ce phénomène car, quand les Chinois jettent leur dévolu sur une marque, c’est celle-là et rien d’autre.

FNW : On sait que les consommateurs chinois de luxe sont plus jeunes qu’en Occident. Est-ce une difficulté supplémentaire pour le luxe ?

SR : La fidélisation est un élément clef. Et fidéliser le consommateur chinois n’est pas chose évidente : il est très zappeur. Au-delà du consommateur chinois, je lie cela à un facteur générationnel que l’on voit partout dans le monde : la loyauté aux marques diminue. Considérer que l’on aura un client à vie, ce n’est plus possible aujourd’hui. Et il faut donc s’inventer et se renouveler, notamment auprès de consommateurs chinois à l’affût des phénomènes venant des réseaux sociaux et d’opinions de leaders très influents. Il va falloir travailler dur pour s’attacher ces acheteurs.

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