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13 janv. 2023
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Thierry Guibert (président de Lacoste): "En cinq ans, nous avons triplé notre chiffre d'affaires en France"

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13 janv. 2023

Lacoste sort d'une année 2022 exceptionnelle. Le fleuron français du sportswear premium a su prendre la balle de la croissance au bond, finissant l'année sur un honorable +26%. Thierry Guibert, à la manœuvre depuis 2015 à la tête du Crocodile, annonce que la marque a franchi les 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, deux fois plus qu'au mitan des années 2010. FashionNetwork.com a rencontré le dynamique président de la marque, locomotive du groupe MF Brands et propriété de la famille suisse Maus, au siège de la société, dans le XVIe arrondissement de la capitale. L'occasion de décrypter avec lui les sources de ce succès mondial, de comprendre la nouvelle approche créative de la marque avec le départ de sa directrice artistique Louise Trotter, mais aussi d'évoquer ses ambitions. Thierry Guibert veut faire fructifier le dynamisme de Lacoste et annonce vouloir atteindre les 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires à l'horizon 2026. Il nous détaille les axes de croissance, avec la chaussure, la femme et le parfum en première ligne, et ses projets, notamment l'ouverture de flagships à Londres et New York au même concept que celui qui suscite un fort engouement depuis l'été dernier sur les Champs-Elysées à Paris.


Thierry Guibert, président de Lacoste - Lacoste



FashionNetwork.com : Le 10 janvier, vous avez annoncé le départ de Louise Trotter, qui était à la tête de la création depuis octobre 2018. Pouvez-nous nous expliquer cette fin de collaboration?

Thierry Guibert : Quatre ans, c’est un temps de collaboration assez classique entre une marque et un directeur artistique. Dans le même temps, nous avons massivement reconquis la Gen Z (née entre 1997 et 2010) et les millenials (âgés entre 25 et 35 ans). Et nous avons développé des initiatives qui nous ont aussi sensibilisés au fait que nous avions beaucoup de communautés créatives autour de nous. La question s’est posée: est-ce que le modèle de demain de Lacoste n’est pas de s’appuyer sur ces communautés? Cela pour permettre de continuer l’aventure différemment. Je crois que les marques gagnantes sur le premium ou le luxe doivent s'appuyer sur de la créativité mais aussi de l'influence (lire le détail de cette nouvelle vision créative dans notre article dédié ). Louise a fait un remarquable travail sur la créativité des collections et le développement d'un certain nombre de segments comme la femme. Et les résultats de la marque aujourd’hui lui rendent hommage.

FNW: En matière de résultats justement, quels sont les moteurs de la croissance de Lacoste?

TG : Nous avons réalisé une croissance de 26% l’an dernier pour atteindre 2,5 milliards d'euros. J’ai l’habitude d’être assez humble mais, étant donné que nous étions déjà revenus au niveau de 2019 en 2021, c’est une croissance extraordinaire. Nous sommes au-dessus du marché mais aussi de nos concurrents. Surtout, c'est une croissance équilibrée sur les zones géographiques avec un bond de près de 30% en Europe, de 24% aux Etats-Unis, de 20% en Asie hors Chine, de 60% en Amérique du Sud et même de 15% en Chine malgré le contexte de confinements sur ce marché en 2022. La croissance est aussi équilibrée en termes de familles de produits, avec un pic de +30% sur la chaussure.

FNW : Votre premier marché était les Etats-Unis pendant longtemps. Est-ce toujours le cas?

TG : Non, la France est le premier marché et pèse 18% de notre chiffre d’affaires. En cinq ans, nous y avons triplé notre chiffre d'affaires pour atteindre les 450 millions cette année. Les États-Unis représentent quant à eux 14%.

FNW : Quels sont les ressorts de cette performance sur le sol tricolore?

TG : Nous avons mis l’accent sur notre marché domestique d’abord dans notre stratégie. Pour pouvoir connaître un décollage comme nous le vivons, il faut pouvoir aligner le produit, le marketing et le réseau. Au sein d'une marque comme la nôtre, qui rayonne mondialement, il faut pouvoir allouer des moyens très importants. Il n’est donc pas possible de le faire sur tous les marchés en même temps. Nous avons commencé par la France, car la marque avait le niveau de désirabilité le plus grand. L'idée est d'être forts là où nous sommes forts. Le reste a suivi et récemment nous avons investi aux Etats-Unis, ce qui porte ses fruits sur nos dernières performances, ou encore en Chine où nous avons une belle croissance malgré l’année complexe sur ce marché.
 
FNW : Au niveau des collections, vous avez cherché à attirer une clientèle plus jeune, notamment celle appartenant à la culture urbaine, dont Lacoste voulait pendant un temps se démarquer. Pourquoi ce choix?
 
TG : Le point où nous sommes aujourd’hui est le fruit du travail plusieurs années. A mon  arrivée, fin 2014, Lacoste conservait une notoriété extrêmement forte mais une désirabilité sans doute amoindrie et un vestiaire un peu enclavé, très tourné vers le polo pour les quadras et quinquas. Par ailleurs, il y a eu jadis le débat autour du fait que des jeunes de banlieues portaient du Lacoste. Moi je n’ai jamais bien compris cette question. A mon arrivée, je l’avais dit: "Le jour où les banlieues ne porteront plus du Lacoste, là je serai inquiet". D’ailleurs, la créativité vient d’abord de la rue.

Donc il y a cinq ans, quand nous avons établi la direction stratégique de la marque, nous voulions d'abord construire sur les bases très solides : la qualité et un vestiaire casual chic. Et nous avons eu la chance, les tendances globales sont allées vers plus de casual que de tailoring. Par la suite, nous avons constaté que les Millenials et Gen-Z connaissaient la marque mais ne trouvaient pas l’offre adéquate. Nous avons introduit du sweat-shirt, des jackets ou encore des bombers, des produits en lien avec la demande des jeunes consommateurs. Et en fait, la marque était faite pour eux. Nous avons aussi profité de la tendance de fond portée par Off-White, entre autres, qui a démocratisé le streetwear et l’a rendu luxueux.

Collection printemps-été 2023 - Lacoste


FNW : Ce travail c’est aussi une reprise en direct de plusieurs licences comme la chaussure. Combien de temps cela vous a pris pour harmoniser l'ensemble des catégories de produits?

TG : Reprendre une licence demande de reprendre le processus créatif. Cela signifie qu’il faut trois à quatre ans avant de mesurer l’impact du changement d’assortiment dans les magasins. Nous avons travaillé avec Louise (Trotter) sur des briefs de saison, constitué des moodboards qui s’adressaient à l'ensemble des catégories de produits. La première saison, nous avons affûté le process et cela fait trois saisons que le studio donne la cohérence à l’ensemble.

FNW : Et vous faites le lien avec la performance sur le dernier exercice?

TG: Le lien est très clair avec cette stratégie. Sur la chaussure par exemple, nous connaissons des niveaux de croissance qui sont assez exceptionnels. De la même manière, sur la maroquinerie où nous avons aligné la proposition homme avec le pitch créatif.

FNW : A présent, quelles sont vos priorités de développement?

TG : Nous allons continuer d’investir, en particulier aux Etats-Unis, où nous avons encore beaucoup de potentiel, et sur la Chine, où nous avons encore une taille modeste. C’était un défaut par le passé, mais plutôt une qualité ces deux dernières années. Notre force est d’avoir une activité très équilibrée. Nous ne sommes pas dépendants d’un marché, derrière la France et les Etats-Unis, nous avons la Corée du Sud à 9% et de nombreux marchés entre 5% et 9% du business global.

FNW : Quels sont vos objectifs chiffrés à l’horizon 2026?

TG : Le plan stratégique que nous avions écrit en 2021, après les périodes de blocage liées à la Covid-19, était d’atteindre les 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2026. Nous avons deux ans d’avance sur cet objectif. Donc notre ambition est désormais d’aller chercher les 4 milliards d’euros à cette échéance.


La femme a encore des opportunités de croissance - Lacoste



FNW : Cela signifie doubler vos ventes en cinq ans. Quelles sont encore vos marges de progrès?

TG: Nous avons un énorme potentiel dans beaucoup de catégories, dont en premier lieu la chaussure. Aujourd’hui, ce n'est que 20% de notre activité, dans un marché de la sneaker gigantesque et en croissance. Nous étions sous licence pendant longtemps, avec une créativité qui était un peu bridée. Actuellement, la chaussure représente un peu moins de 500 millions d’euros. Nous pouvons tripler ce chiffre dans les quatre prochaines années.

La femme représente un autre potentiel. Nous avons redéfini un vestiaire féminin chic et élégant, avec des matières agréables et une approche active. Aujourd'hui, la femme, c'est 17% notre business en textile et 23% au global, si on prend en compte la chaussure. Nous ne serons jamais à 50% de ventes avec la femme mais nous avons cinq à dix points de progression possibles. Et nous avons le parfum.

FNW : Justement sur la licence parfums, vous venez d’annoncer quitter Coty pour Interparfums. Qu’est-ce qui a motivé ce changement?

TG : Le parfum n’est pas dans les 2,5 milliards d’euros car c’est une licence. Mais c’est un énorme potentiel. Or c’est la seule catégorie qui n’a pas enregistré les croissances vécues par les autres catégories. Et la créativité a fait, à notre sens, un peu défaut ces trois dernières années. Nous allons travailler avec Interparfums, qui saura faire de Lacoste un fer de lance de son portfolio. Je trouve que ce que fait Philippe Benacin avec Interparfums est basé sur la créativité produit des jus, mais aussi du packaging et de l’histoire des produits. Nous avons beaucoup partagé sur la stratégie pour aboutir à un alignement que nous avons déjà sur les autres licences lunettes, montres ou linge de maison. C'est un équilibre entre la proposition aux jeunes générations et l’aspect institutionnel de Lacoste. Et nous avons une ambition de développement géographique aux Etats-Unis et en Chine. Le partenariat prendra effet le 1er janvier 2024 avec lancement d’un parfum masculin.

FNW : Dans la belle période que vit Lacoste, la marque s’est montrée active sur le net. Que représente le digital dans votre stratégie?

TG : C’est probablement l’un des points essentiels de notre performance actuelle. Quand je suis arrivé en 2015, le e-commerce représentait 3% du chiffre d'affaires. Aujourd’hui nous sommes à 26%. Comme tout le monde, nous avons été portés par la période Covid sur ce canal. En 2020, nous avons d’ailleurs eu une baisse qui était de l'ordre de 10% de notre chiffre d'affaires, qui a été limitée par rapport à certains de nos concurrents et ce grâce à notre accélération e-commerce car nous avions beaucoup investi les cinq années précédentes.

FNW : En parallèle, vous continuez de miser sur le commerce physique, notamment avec l’ouverture de votre flagship sur les Champs-Elysées l’été dernier…

TG : Les interactions entre e-commerce et retail sont très nombreuses. Notre approche est plus omnicanale. Mais cela signifie que nous avons une stratégie qui a évolué. Historiquement la marque comptait beaucoup de franchisés. Nous avons rationalisé notre réseau pour avoir un parc homogène et nous avons ouvert de plus gros magasins comme celui des Champs-Élysées.


Le concept Arena de Lacoste sur les Champs-Elysées - Lacoste


FNW : Quels sont les résultats de ce magasin?

TG : C’est une très bonne surprise. Il s’agit d’une surface de 1.600 mètres carrés donc c’est un investissement très important. Mais nous sommes très au-dessus de nos objectifs. Certains samedis, nous captons quasiment 10.000 personnes, soit jusqu’à 10% du trafic de l’avenue des Champs-Elysées. C'est énorme!

FNW : Cela signifie que vous allez appuyer le développement de ce concept dans votre plan de croissance à horizon 2026?

TG : En effet, nous allons ouvrir en avril 800 mètres carrés à Londres, sur Regent Street. Et nous finalisons des échanges pour une ouverture du même ordre sur la Cinquième Avenue à New York début 2024. Probablement ouvrirons-nous un magasin de ce type aussi à Shanghaï.

FNW : A l’instar des géants du luxe, vous imaginez un modèle quasiment uniquement orienté sur la vente directe au consommateur?

TG : Il y a six ans, nous avions une balance à 65% wholesale et 35% retail. Aujourd’hui c’est l’inverse. Mais nous ne sommes pas une marque de luxe et nous ne serons jamais 100% en vente directe au consommateur. Lacoste reste une marque de proximité. Probablement, le retail va-t-il encore augmenter avec la croissance du digital. Je pense qu'une répartion 75% retail et 25% wholesale serait un bon équilibre.


L'offre de sneakers se fait plus créative chaque saison - Lacoste



FNW : Les deux dernières années ont aussi été riches en défis. Comment avez-vous répondus aux challenges de la supply chain, entre difficultés d'approvisionnement, hausses des coûts du transport et inflation?

TG : Nous avions déjà une cartographie sourcing qui était un peu particulière puisqu'elle est extrêmement éclatée entre Asie, Amérique et Europe, que ce soit pour le sourcing du coton ou nos usines. Cela nous a donné une certaine agilité, même si nous avons été touchés comme tous les acteurs. Dans cette période, nous avons fait face à l’augmentation du prix des containers, à l’inflation sur les matières premières, etc. Mais nous avons eu une certaine chance. Depuis 2019, nous avions augmenté nos prix de 6% par an car la marque était devenue très désirable. Cela nous a permis d'absorber un peu cette inflation, alors que cette stratégie n’était pas là initialement pour contrer l'inflation. Pour 2023, nous avons porté cette augmentation de 6% à 8%. Si cette crise était arrivée en 2015 nous aurions certainement été plus en difficulté. Là nous sommes revenus à des situations plus stables sur la supply chain. Mais comme il n’y a pas une année sans défis, nous faisons face à une inflation plus locale.

FNW : Comment analysez-vous le contexte de cette année 2023?

TG : Le mois de janvier est un mois toujours un peu atypique avec les ventes privées et les soldes. Mais je suis assez étonné car le démarrage est plutôt bon. Je pense que ce sera plus difficile à partir de mars/avril car les consommateurs seront réellement touchés au portefeuille, notamment par les coûts énergétiques. Par ailleurs, il y a quand même beaucoup de stocks chez un certain nombre de retailers. Donc ceux-ci vont probablement mettre le frein sur des commandes à venir. Les inconnues sont nombreuses mais pour Lacoste, nous avons un bon carnet de commandes. Il faut rester prudent, mais nous visons une croissance à deux chiffres encore pour 2023. C’est cohérent pour atteindre nos objectifs.


Collection Lacoste printemps-été 2023 - Lacoste


FNW : Au sein du groupe Maus Frères, le propriétaire de Lacoste, vos prérogatives englobent l’ensemble des marques. Quelle a été la dynamique du groupe?

TG : Globalement, le groupe fait une très bonne année 2022. Avec la partie suisse du groupe (grands magasins Manor), nous allons délivrer une croissance de 11%. Cette croissance est de près de 20% sur la partie MF Brands.

FNW : L’an dernier, vous avez évoqué une volonté d’élargir votre portfolio de marques. Etes-vous prêt à réaliser une nouvelle acquisition?

TG : Nous avons de véritables capacités d'investissement. Aujourd'hui, dans un monde où les taux remontent, notre position sera plus favorable, alors que certains acteurs vont probablement se retrouver en difficultés sur leurs ratios financiers. Nous regardons des actifs qui sont positionnés "premium" ou ont la capacité à le devenir. Ce n’est pas forcément du textile, cela peut être des accessoires, de l'équipement de la maison ou pourquoi pas de l'hôtellerie. J’ai la chance d'avoir des actionnaires familiaux. Nous avons le temps et nous ne surpaierons jamais une société par empressement. Mais je vous mentirais si je vous disais que nous ne serions pas déçus si nous n’ajoutions pas un actif supplémentaire dans les dix-huit prochains mois.

 
 

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