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Marc-Henri Beausire (Le Coq Sportif): "J'investis et travaille en France parce que les gens sont extraordinaires"

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27 mars 2023

Le 15 mars, à 500 jours des Jeux olympiques de Paris, Le Coq Sportif a pris date. L’équipementier sportif a annoncé avoir confié la création des tenues des athlètes et ses collections à Stéphane Ashpool. L’occasion de faire le point avec Marc-Henri Beausire, président et actionnaire majoritaire de la marque via sa société d’investissement suisse Airesis. L’occasion de parler avec le décideur de l’importance de ce rendez-vous pour la marque au coq chantant, mais aussi d’évoquer la stratégie de l’entreprise, de ses projets et de l'arrivée de potentiels partenaires financiers dans cette période d’après-Covid.


DR


FashionNetwork.com : Le Coq Sportif va réaliser les tenues des athlètes de l’équipe de France pour les Jeux olympiques d’été de Paris 2024. Pourquoi avoir choisi de recruter Stéphane Ashpool comme directeur artistique pour ce projet?

Marc-Henri Beausire : Je suivais le travail de Stéphane depuis longtemps. La première fois, c’était en 2011, lorsqu’il a travaillé autour de la réinterprétation d’un terrain de basket à Pigalle. Depuis j’ai toujours regardé ses créations. Mais il travaillait pour d'autres maisons et ne nous était pas accessible. Et nous n’avions pas encore mis en place notre outil en France et au Maroc. Depuis dix ans, nous avons notre centre à Romilly-sur-Seine (Aube) qui est notre usine de modélisme et de prototypage. Aujourd’hui nous y avons de la production, notre siège, et c’est un lieu de vie et de savoir-faire. Pendant dix ans, nous avons construit cela; à présent avec Stéphane, nous passons à une autre étape.

FNW : Un designer dans une marque de sport. C’est un challenge…

MHB : C’est justement quelqu’un qui va nous porter plus loin. Aujourd’hui nous avons besoin de la performance et du style et Stéphane coche toutes les cases. Il est d’une grande rigueur et il a la capacité de créer les collections pour les trente-trois fédérations avec qui nous travaillons sur les JO. Il sait parler avec les athlètes. Cela a permis de définir qu’on allait travailler sur l’interprétation du drapeau français et des valeurs de performance et de mixité importantes pour eux. Mais Stéphane a aussi cette capacité à échanger sur le plan technique avec les brodeurs, les couturières, les modélistes… Il inspire tout le monde et cela a créé un élan.

FNW : Pourquoi maintenant?

MHB : Nous avons toujours eu en tête le style. Nous l’avons travaillé, mais ce n’était pas notre focus. Notre focus était sur l’outil industriel. Comment créer une chaîne de production circulaire et responsable.

FNW : Comment est structurée votre production aujourd’hui?

MHB : Nos matières sont produites dans le bassin troyen et nous avons donc un peu de confection à Romilly. Mais la très grande majorité de celle-ci est réalisée au Maroc, dans une usine à proximité de Marrakech. C’est ce qui nous permet d’être compétitif et d’avoir d’excellents résultats chez Intersport sur notre créneau sportstyle. Cette usine est l’une des usines textiles les plus belles au monde, dans laquelle nous avons un grand engagement environnemental et sociétal, avec une mutuelle maladie par exemple pour les travailleurs. C’est un partenaire qui a travaillé pendant vingt ans avec Petit Bateau et, à présent, il travaille avec nous et Petit Bateau. Nous travaillons main dans la main. Avec cet outil et le rendez-vous des Jeux olympiques, nous voulons nous inscrire pour les dix prochaines années dans la performance, mais toujours avec un point de vue style.

FNW : Votre ancrage français faisait partie de vos atouts pour décrocher les collections pour les JO de Paris. Qu’est-ce que cela implique?

MHB : Ce que vont nous permettre les JO, c’est d’accumuler des connaissances supplémentaires sur les produits performance. Aujourd’hui les savoir-faire sur les matières sont principalement en Asie mais nous avons engrangé de nouveaux savoir-faire avec des partenaires en France, pas seulement à Troyes mais aussi dans la région Rhône-Alpes. Et nous allons avoir de belles histoires. Et pour les tenues des athlètes dans le village, nous tenons l’engagement d’une production en France.
 
FNW : C’est un engagement industriel important en ce qui concerne la capacité de production!

MHB : Bien sûr. Nous avons créé notre centre de formation pour avoir des personnes formées, principalement des couturières. C’est un travail engagé depuis deux ans, mais cela fonctionne à plein régime. Nous avons une centaine de personnes aujourd’hui et nous aurons plus de trente personnes supplémentaires qui vont nous rejoindre. L’extension de l’usine était aussi importante. On ne devrait pas aller plus haut. Mais pour vous donner une indication des capacités, au Maroc, ce sont 2.500 personnes qui travaillent pour nous. Cette unité n’est pas la plus significative en termes de business mais elle donne une grande force pour accélérer nos développements performance.

FNW : C’est à dire?

MHB : Le postulat actuel et admis, c’est qu’il n’y a que l’Asie qui sait réaliser des matières pour la performance… avec son lot de matières chimiques. Nous, aujourd’hui, sur ces matières performance, nous allons avoir 30% à 45% des matières faites en France et 80% à 90% dans un bassin de production proche. Ce qui est formidable, c’est qu’il y a un effet d’entraînement. Cela réveille les ambitions des prestataires. Il y a ce challenge de production. Mais le plus gros challenge est sans doute avec les fédérations, car elles ont l’habitude de certaines matières, et il y a parfois un frein. Mais cela constitue une superbe opportunité de dialoguer sur ce qu’est un produit chimique et son impact sur les sportifs.


Première capsule Le Coq Sportif dédiée aux Jeaux Olympiques - Le Coq Sportif



FNW : Mais vous allez sourcer plus près les mêmes matières qu’en Asie?

MHB : Dans notre esprit, il a toujours été question de croire dans le tissu industriel local et de proposer des matières plus respectueuses de l’environnement et des hommes. Quelles sont les conditions de travail? D’où viennent les matières? Nous recherchons des alternatives produites en France. Mais on ne peut pas être fermés et se dire que l’on va tout changer du jour au lendemain. Notre approche est de se dire comment on peut progressivement retirer un puis deux produits chimiques de la composition des matières. On teste. Ce n’est pas une position marketing. Cela fait quinze ans que l’on fait ça. Cela donne un côté artisanal. Et c’est un challenge de développer des projets au niveau industriel. Mais il y a des opportunités pour réaliser des transferts de l’artisanat vers l’industrie en étant ouvert et malin.

FNW : Justement les industriels du textile européen font face à des hausses de coûts de l’énergie jamais rencontrés. Cela ne met pas à mal cette vision?

MHB : Depuis quinze ans, cela fait au moins 25 fois que nous aurions pu renvoyer la production en Asie. C’est vrai que nous enchaînons les deux années Covid, avec une montée des coûts des matières et des transports, puis la guerre en Ukraine en 2022 et ses répercussions sur les prix de l’énergie et l’inflation, alors que nous avons un projet à financer. Mais nous avons engagé un projet fort, qui fonctionne. Il faut tenir. Il ne faut pas penser que les choses se font en un claquement de doigts. Plus c’est difficile, plus le potentiel est grand. Nous prouvons que nous sommes capables d’avoir des résultats avec ce modèle de production.

FNW : Donc pas de regret d’avoir choisi d’investir en France?

MHB : Nous avons créé la relation avec le sport, le sport français en particulier. Ce lien est fort. Quand nous avons amorcé le projet de travailler avec le bassin troyen, on nous a pris pour des fous. Mais, voilà, pour nous c’était la bonne manière de faire, même s’il y a quinze ans, la réussite du projet n’était pas écrite. Ce qui est le plus dur dans une entreprise, c'est d’effectuer toujours des retours en arrière. Donc on n’a pas avancé aussi vite que ce qu’on voulait et c'est frustrant. Mais on est toujours là avec des beaux projets.  Même si c’est hyper compliqué, c’est une grande fierté de travailler en France. Certes, en France, parfois on manque d’engouement et il peut y avoir des moments très bloquants, même si je crois qu’il ne faut pas bloquer la France. Mais quand on me parle des 35 heures et des grèves, moi je ne vois que des gens qui s'investissent de manière incroyable du moment qu'il y a du sens, qu’il y a un projet, de la motivation et du respect. Je travaille dans plusieurs pays mais j'investis et travaille en France parce que les gens sont extraordinaires.


Le modèle de running R2024 - Le Coq Sportif



FNW : Quand vous avez repris la marque, elle était notamment visible par la chaussure. N’est-elle pas moins puissante sur ce créneau aujourd’hui?

MHB : Ce qu’il faut comprendre c’est que quand nous sommes arrivés, la marque était dans les mains d’un spécialiste de la chaussure. Il y avait un designer talentueux qui avait deux modèles qui ont très bien fonctionné. Mais pour moi, il faut avoir une histoire à dire. Le Coq n’est pas une marque de chaussures. Nous sommes la plus ancienne marque de sport textile. Pour moi, c’était l’obsession. Nous avons laissé un petit peu de côté la chaussure mais nous y travaillons et Stéphane va pouvoir nous aider dans les prochaines années. Nous allons reprendre… mais toujours par la performance. Sur le lifestyle, le marché connaît d’énormes fluctuations. La chaussure va venir alimenter notre offre textile sportif. En Europe, l’industrie de la chaussure performance n’a jamais vraiment existé. Mais nous travaillons avec l’usine Chamatex en Ardèche pour leur matière. Nous avons déjà une chaussure de tennis performance et nous avons lancé notre modèle running R2024 ultraléger.
 
FNW : Justement, cela fait maintenant près de dix ans que vous investissez dans le marketing sportif, d’abord avec le Tour de France, puis dans le tennis, le football avec l’AS Saint-Etienne. Aujourd’hui c’est avec Alpine et le XV de France. Cela représentait de gros investissements pour une entreprise qui n’a pas la taille des acteurs majeurs du secteur. Comment expliquez-vous que Le Coq Sportif ne soit pas plus gros aujourd’hui?

MHB : Nous avons une taille modeste par rapport à d’autres acteurs du sport. Il faut donc bien choisir ses combats. Quand nous avons repris l’entreprise, elle réalisait 5 millions d’euros de chiffres d’affaires. L’an passé nous avons réalisé 150 millions d’euros. Nous sommes petits par rapport aux gros mais nous avons réussi à passer le message que nous sommes une marque de sport capable de réaliser les maillots du Tour, de Saint-Etienne, de l’équipe de France de rugby mais aussi d’équiper 1.400 clubs amateurs. Tout çà avec un outil industriel responsable. Pour les dix prochaines années, nous allons creuser le sillon de la performance et du style. Même si il y a eu des moments difficiles ces trois dernières années, que cela nous a totalement ralenti et balayé beaucoup de cash et de fonds propres et que nous avons des prêts garantis par l’Etat qu’il faut rembourser, on ne lâchera pas.

FNW : Malgré les contraintes actuelles et des marges sous pression, qu’est-ce qui vous rend optimiste?

MHB : Ce qui me donne beaucoup d’espoir c’est que nous avons visé juste avec le sport style textile homme. En France, nous sommes devant nos concurrents chez Intersport. Nous nous sommes focalisés dessus en créant un système circulaire où nous limitons les invendus chaque semaine. C’est une petite catégorie. Mais si nous avons été bons là, nous pouvons le reproduire. Et si cela fonctionne chez Intersport en France, cela devrait intéresser des distributeurs sur d’autres marchés. Malgré le Covid, nous sommes à plus de 20% au-delà de nos ventes de 2019. Et avec une baisse du coût des matières, nous devrions retrouver un équilibre positif. L’arrivée de Stéphane et les Jeux olympiques sont aussi des atouts pour rayonner plus fort auprès des Français mais aussi à l’international. Nous avons misé sur le produit et nous avons une fidélité incroyable des clients. L’important, c’est l’engagement dans la réalisation et la sincérité de nos projets. Je ne vais pas dire que nous ne regardons pas les chiffres, mais cela reste une conséquence de nos actions. Comme en sport, le classement est le résultat de vos performances en matchs. La croissance se fait sur un temps long et s’effectue par sauts. Donc il faut être patient et être en capacité de supporter les crises.


Le Coq Sportif



FNW : Justement, il y a trois ans le fonds Mirabaud Patrimoine Vivant est entré au capital de la société. Pour faire face à cette pression et aux investissements liés aux Jeux olympiques, vous ne cherchez pas de nouveaux partenaires?

MHB : Nous aurons besoin d’ouvrir les horizons pour notre croissance. C’est certain. Mais cela doit correspondre aux valeurs que nous avons développées. Notre rythme est souvent différent de celui des fonds. Notre propos aussi est différent. Nous avons une vision d’un modèle d’économie circulaire qui doit être duplicable sur d’autres continents. Nous avons d’ailleurs commencé à chercher des partenaires en Amérique du Sud. L’idée est de ne pas être dépendants de zones du monde avec lesquelles il va être de plus en plus compliqué de travailler et qui ne correspondent pas avec notre approche d’arrêter d’épuiser les ressources de la planète et d’épuiser les hommes. Nous sommes en train de remonter des savoir-faire chez nous, on ne va se mettre dans des mains qui ne nous correspondent pas. Mais c’est important aujourd’hui d’avoir d’autres personnes au capital pour aller plus loin à l’international.

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